"Il y a encore des maternités et des services de chirurgie qui ne respectent pas les seuils d’activité"

25/01/2018 Par Véronique Hunsinger
Economie

Antoine Durrleman, le président de la 6e chambre de la Cour des comptes*, explore les différentes pistes de travail permettant d’atteindre un équilibre durable des comptes de l’assurance maladie.

Egora : Face à l’augmentation inéluctable des dépenses de santé, la construction du budget annuel de l’assurance maladie au moyen du fameux "Objectif national des dépenses de santé" (Ondam) vous semble-t-elle toujours pertinente ? Antoine Durrleman : Il est évidemment nécessaire de se reposer sur un tendanciel, mais sa construction pose des questions de méthode. En effet, pour définir l’Ondam hospitalier, l’administration part de la dépense constatée et la prolonge en fonction de paramètres comme l’augmentation des rémunérations, la structure par âge des équipes hospitalières ou l’inflation prévisible des dépenses médicales. Pour les soins de ville, on extrapole des courbes statistiques élaborées depuis 1994 pour calculer le tendanciel. Ces deux modes de construction ne sont pas cohérents entre eux et comportent des biais de construction parfois importants. Dans ce contexte, il serait essentiel de confronter systématiquement, a posteriori, les prévisions élaborées à partir de ces tendanciels avec la dépense effectivement constatée, pour les recaler.   On constate cependant que l’Ondam est tenu depuis sept ans... Oui, il avait été respecté la première année, en 1997, puis on en avait perdu l’habitude. Mais depuis sept ans il est globalement respecté, même si cela appelle néanmoins quelques observations de la Cour des comptes. En effet, toutes les dépenses de santé ne sont pas dans l’Ondam (par exemple les indemnités journalières de maternité), qui ne représente que 80 % des dépenses. Il y a aussi des dépenses qui sont sorties de l’Ondam sans véritable justification autre que d’opportunité. On l’a constaté en 2017, avec la création du fonds de financement de l’innovation pharmaceutique, qu’on peut considérer comme une sorte de "débudgétisation". Ainsi, des biais de construction et des changements de périmètres facilitent la tenue de l’Ondam. Or, malgré cela, il est de plus en plus difficile à respecter.   Pourquoi cette logique touche-t-elle aujourd’hui ses limites ? L’Ondam a permis un pilotage beaucoup plus attentif des dépenses. Mais sa faiblesse réside dans le fait que c’est un pilotage budgétaire annuel. Or la nécessité de dégager des marges d’efficience dans notre système de soins implique de passer d’un pilotage budgétaire à un pilotage par la qualité des soins. Et d’un pilotage annuel à un pilotage pluriannuel, stratégique et volontariste, comme cela a été fait par la politique du médicament, qui a porté ses fruits. Alors que l’assurance maladie revient sur le chemin de l’équilibre financier, et pour lui permettre de faire face à la hausse structurelle de la dépense de santé, il faut consolider l’acquis des efforts considérables qui ont été faits, et changer de modèle de régulation.   L’hôpital s’est beaucoup restructuré depuis une vingtaine d’années. Faut-il aller plus loin ? L’offre hospitalière reste très importante en France : elle représente 40 % des dépenses de santé, contre 29 % en Allemagne. L’hôpital s’est effectivement restructuré, mais on note toujours des durées de séjour plus importantes que chez nos voisins ainsi qu’un taux d’occupation des lits trop faible. Les outils de réorganisation dans les années 1990 et 2000, notamment les normes d’activité, ont perdu de leur force. Il y a encore des maternités et des services de chirurgie qui continuent de fonctionner même s’ils ne respectent pas les seuils d’activité nécessaires à la sécurité. En matière de santé, la proximité doit-elle passer avant la sécurité ? Je rappelle que la France se singularise par son taux de mortalité infantile et périnatale élevé ! De notre point de vue, l’offre hospitalière doit encore profondément se transformer et regrouper ses forces pour être plus efficiente et surtout assurer une meilleure qualité des soins. À cet égard, la réforme des groupements hospitaliers de territoire semble un levier très intéressant.   La tarification à l’activité n’est-elle pas également un outil qui semble aussi avoir atteint ses limites ? Ce mode de rémunération à l’activité a eu des effets restructurants pour les hôpitaux car il les a amenés à s’intéresser au coût de leurs activités. Mais il a aussi incité à des biais dans les cotations de prise en charge et à une course à l’activité, notamment dans les urgences. D’où des baisses de tarifs pour enrayer cette inflation et une fragilisation financière qui s’aggrave. Développer une prise en charge au parcours permettrait de se centrer davantage sur le patient. De plus, la tarification au parcours de soins permettrait aussi de dépasser la distinction entre les soins de ville et les soins hospitaliers, une coupure préjudiciable à une prise en charge globale. Cela permettrait à l’hôpital de revenir à son "poids de forme" et aux médecins généralistes de véritablement et enfin devenir les pivots du système de soins. Mais cette tarification au parcours suppose des référentiels de bonnes pratiques très précis et des évaluations médico-économiques complètes, qui demeurent à réaliser.   Comment peut-on mettre en place un tel système ? La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2018 prévoit des expérimentations qui devront être accompagnées d’évaluations ex post. C’est d’ailleurs aussi pour cette raison que nous appelons à une exploitation massive des données de santé, qui permet de faire progresser la qualité de prises en charge. Les bases de données de santé ont longtemps été considérées comme un trésor à verrouiller à triple tour. La loi de modernisation du système de santé de 2016 a cependant permis de premiers progrès. Mais il faut travailler à les enrichir : l’obligation législative de coder les maladies des patients dans les feuilles de soins n’est pas respectée. La Cour des comptes estime en tout état de cause nécessaire de procéder à une ouverture raisonnée de ces données, et constate que les conditions de sécurité et de confidentialité sont remplies.   Le partage de financement entre l’assurance maladie obligatoire et les assurances complémentaires doit-il être revu ? La Cour des comptes a identifié trois scénarios possibles pour mieux articuler les rôles respectifs de l’assurance maladie et des complémentaires, dont le poids est particulièrement important en France. On peut approfondir l’existant à condition de mieux réguler les transferts entre les deux. On peut aussi envisager de décroiser les responsabilités en se posant la question de savoir si l’assurance maladie obligatoire ne devrait pas se concentrer sur certains soins, pas seulement ceux lourds et coûteux, mais par exemple aussi ceux indispensables en termes de prévention. Dans ce cas, les complémentaires pourraient gérer d’autres secteurs, en discutant même directement avec les acteurs du système de soins. Le troisième scénario que nous analysons est celui d’un schéma de reconquête par l’assurance maladie obligatoire, avec la mise en place d’un "bouclier sanitaire" qui viendrait plafonner le reste à charge des patients. En Allemagne, où un tel système existe, un assuré ne peut pas avoir à sa charge pour ses dépenses de santé plus de 2 % de ses revenus ou 1 % s’il a une pathologie chronique.   * La Cour des comptes a publié en novembre 2017 "L’avenir de l’assurance maladie, assurer l’efficience des dépenses, responsabiliser les acteurs".

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