Biosimilaires : pourquoi les prescriptions peinent à décoller

24/11/2018 Par Corinne Tutin
Pharmacologie
Les biosimilaires représentent un potentiel d’économie majeur. Cependant, si les prescriptions apparaissent en hausse à l’hôpital, elles restent encore timides en ville. Une première rencontre nationale des biosimilaires a permis de faire le point sur cet enjeu.

Le ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a fixé début 2018 lors de l’établissement de la Stratégie nationale de santé 2018-2022 un objectif de 80 % de prescriptions de biosimilaires pour les classes de médicaments concernés à l’horizon 2022. On n’en est pas là, "mais ce marché est en expansion de plus en plus rapide", a souligné Pascal Paubel, pharmacien et professeur associé à l’université Paris-Descartes lors d’une première rencontre nationale des biosimilaires organisée le 8 novembre à Paris par la revue Pharmaceutiques avec le soutien institutionnel de Biogen.  "Ce marché n’est d’ailleurs pas si récent", a fait remarquer ce spécialiste, puisque les premiers biosimilaires d’érythopoïétine et de filgrastim ont été commercialisés il y a une dizaine d’années avant d’être rejoints par des biosimilaires d’infliximab, d’étanercet, d’insuline glargine, de rituximab IV, trastuzumab IV, et aujourd’hui d’adalimumab. Avec une quarantaine de biosimilaires disposant d’indications, l’Europe est nettement en avance sur les États-Unis, où pas plus d’une dizaine de biosimilaires sont indiqués. Ce qui peut étonner car ce pays avait été à l’origine de l’utilisation des génériques. "Mais, cela s’explique, a rappelé le Dr Jean-David Zeitoun, gastroentérologue à l’hôpital Saint-Antoine de Paris, par un contexte juridique plus favorable sur le vieux continent, la directive européenne sur les biosimilaires datant de 2004." Malgré tout, si le marché des biosimilaires s’est accru de 30 % en 5 ans en France, sa taille - 200 millions d’euros dans l’hexagone, 1 à 2 milliards de dollars dans le monde, et peut-être 12 à 20 milliards d’ici 2020 - reste bien modeste en comparaison de celle des génériques : 150 milliards de dollars actuellement, a admis le Dr Zeitoun. Il est vrai qu’à l’exception du diabète, les maladies concernées, de spécialité hospitalière, concernent encore un nombre restreint de patients : maladies inflammatoires, cancers. Les taux d’utilisation ne sont pas si mauvais en France (autour de 40 %), même s’ils sont moins élevés qu’en Scandinavie ou en Allemagne. Mais, les économies engendrées n’ont pas dépassé 30 millions d’euros en 2017.

 "En France, l’arrivée des biosimilaires ne devrait pas, à la différence de certains pays de l’Est, accroître l’accès aux traitements, qui est déjà assuré", a estimé Valérie Paris, économiste à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). "En revanche, comme les biomédicaments représentent 30 % du marché pharmaceutique, et que les baisses de prix induites par les biosimilaires sont plus importantes que ce qu’on avait imaginé initialement -30 à 40% plutôt que 10 à 15 %", on devrait malgré tout avoir un certain impact économique. En fait, les baisses de prix sont variables selon les conditions d’administration : 80 % parfois après appel d’offres dans des hôpitaux (moins élevées en ville), 24 % pour les biosimilaires d’insuline... Delphine Champetier de Ribes, directrice de l’offre de soins à la Cnam, a confirmé que l’accroissement d’utilisation de ces médicaments est un enjeu financier non négligeable, "les objectifs d’accroissement des dépenses de santé fixés par l’Ondam étant de 2,5 % pour 2019, alors que les coûts de santé augmentent naturellement de 4 à 5 % par an avec le vieillissement de la population, l’augmentation des maladies chroniques et des innovations thérapeutiques".   Des interrogations sur le "business model" Pour autant, des questions d’ordre commercial et éthique concernent ces prescriptions. L’une d’entre elles a trait au "business model, qui est en pleine évolution", a signalé Pascal Paubel. Big pharma, entreprises de biotechnologie, génériqueurs, nouveaux entrants des pays développés ou émergents comme Samsung Biologics, ou Biocon s’intéressent à ce marché. "Pour autant, ces acteurs ne risquent-ils de s’en retirer, si le prix des biosimilaires baisse trop avec un risque de rupture d’approvisionnement ?", s’est interrogé, "inquiet", Pascal Paubel. En effet, le coût de la fabrication d’un biosimilaire, qui exige selon la réglementation européenne de développer des essais cliniques dans une indication choisie par l’industriel (la bio-équivalence permettant ensuite d’obtenir les autres indications du biomédicament de référence) est bien plus coûteuse que celle d’un générique. Une trop forte réduction de prix pourrait aussi conduire à ce que les biosimilaires ne soient plus inscrits sur la "liste en sus" dans les hôpitaux, inscription qui fait faire des économies aux établissements, puisque le remboursement de l’Assurance maladie est établi en fonction de celui du médicament de référence. Le Dr Zeitoun et Valérie Paris ont insisté sur l’importance "d’éviter toute situation de monopole" pour ne pas se retrouver avec les problèmes récemment observés sur le marché des génériques aux États-Unis, où 40 % des génériques sont produits par un seul fabricant avec un risque de hausse de prix, imposée par l’industriel. "Par ailleurs, les biosimilaires n’arriveront-ils pas trop tard par rapport à l’état de la science", s’est demandé Pascal Paubel. La question pourrait aussi se poser par rapport à la mise sur le marché de nouvelles formes galéniques, car les laboratoires fabriquant les biomédicaments de référence ne restent pas inactifs. En rhumatologie, des anti-TNF pégylés, des anti-JAK sont commercialisés ; le rituximab IV biosimilaire n’est pas beaucoup utilisé, car les hématologues lui préfèrent le rituximab sous-cutané (sans biosimilaire).   Enjeu de confiance et mesures d’incitation "Des études récentes ont confirmé que les anti-TNF biosimilaires ont une efficacité comparable, et qu’ils exposent à des phénomènes d’immunogénicité du même ordre que ceux des médicaments de référence. Ce qui est rassurant", s’est félicité le Pr Bruno Fautrel, chef de service de rhumatologie à l’hôpital de la Pitié-Salpétrière à Paris. Il n’en demeure pas moins "qu’il faut développer l’information auprès des professionnels de santé et des patients sur ces produits", a insisté Delphine Champetier de Ribes (Cnam). Une étude conduite en Belgique auprès de la population, des entretiens confraternels menés par des responsables de l’Assurance maladie avec des médecins français ont, en effet, montré que patients comme professionnels de santé connaissent peu les biosimilaires et ressentent souvent de la méfiance envers eux. "Obtenir la confiance des professionnels de santé et des patients est primordial, si l’on veut éviter un retour de bâton, qui limiterait durablement l’utilisation des biosimilaires", a jugé Delphine Champetier de Ribes. "Il faut être extrêmement prudent et ne jamais sous estimer des risques même mineurs, car même si cela n’a rien à voir, le lien sera fait avec des problèmes comme ceux rencontrés avec le Levothyrox", a ajouté Thomas Wanecq, sous-directeur du financement du système de soins (Direction de la sécurité sociale). Néanmoins, des outils d’incitation à la prescription de ces médicaments ont été mis en place comme le Contrat d’amélioration de la qualité et de l’efficience des soins (Caques) dans les hôpitaux, créé par l’article 81 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) 2016, ou plus récemment l’expérimentation lancée par l’Assurance maladie et le ministère de la santé dans le cadre de l’article 51 de la LFSS 2018. Cette dernière propose un reversement financier de 30 % des économies réalisées par l’Assurance maladie à une quarantaine d’établissements français pour prescrire davantage de biosimilaires (étanercept, insuline glargine…), ensuite délivrés en ville. "Cette expérimentation, dont les premiers résultats semblent positifs, va être évaluée et pourrait être élargie", a mentionné Thomas Wanecq. La prescription d’insuline biosimilaire est aussi prise en compte dans la rémunération sur objectifs de santé publique (Rosp) des médecins généralistes. Mais, bien qu’ayant augmenté de 2 points, le taux de prescription ne dépasse pas 7,6 %.   Switch ou pas switch ? Le décret d’application de la loi de financement de la sécurité sociale de 2017 n’étant toujours pas paru, les switchs entre biomédicament de référence et biosimilaire ne peuvent être réalisés par les pharmaciens d’officine et sont réservés aux prescripteurs "sur lesquels désire s’appuyer l’Assurance maladie", a précisé Delphine Champetier de Ribes. Il n’est pas certain que ce décret voit d’ailleurs rapidement le jour. "Les biosimilaires font peur aux pharmaciens d’officine qui s’inquiètent de leur prix, de la complexité de leur administration, et des problèmes de stockage auxquels ils exposent", a reconnu Philippe Laune, vice-président de l’ Union technique inter-pharmaceutique de formation continue (Utip), un organisme de formation des pharmaciens. Le Pr Fautrel s’est déclaré "très anxieux" à l’idée de cette substitution automatique par le pharmacien "et il faudra au minimum éviter que le patient reçoive un mois, un biosimilaire et le suivant un autre, muni d’un dispositif d’administration différent", a-t-il indiqué.   A la suite d’appels d’offres, certains hôpitaux ont choisi de remplacer, parfois à 90 %, l’infliximab par un biosimilaire, et des patients se sont vu imposer ces médicaments. "Pis, des injections de biosimilaires ont eu lieu sans que les patients le sachent et une malade a dû batailler pour faire arrêter le produit en cours de perfusion", a déploré Sonia Trope, directrice de l’Association nationale de défense contre l’arthrite rhumatoïde (Andar), association de patients rhumatologiques. Ces attitudes non respectueuses du droit des malades, qui doivent recevoir "une information loyale" pourraient être à l’origine d’effet nocebo et être contre-productives au long cours. Au CHU de Bordeaux, "on a décidé de jouer la carte de la franchise et de respecter le point de vue du patient, en lui délivrant trois messages", a expliqué le Pr Thierry Schaeverbeke, chef du service de rhumatologie, en total désaccord avec les comportements précédents : "1) Nous vous proposons un médicament qui est une espèce de générique, mais avec plus de preuves d’efficacité, pour permettre de faire faire des économies au système de santé. Ce qui permettra de financer des innovations, dont vous bénéficierez peut-être un jour. 2) Vous avez le droit de refuser. Auquel cas, nous respecterons votre choix" (ce que l’équipe fait). 3) Si vous acceptez mais que d’ici quelque temps, vous constatez que vous êtes moins bien, que le médicament vous paraît moins efficace, nous reprendrons sans discussion votre anti-TNF initial." Au final, 90 % des malades ont accepté le changement de médicament, et seulement 10 % ont repris ensuite l’anti-TNF de référence.   Les problèmes de switch ne se posent pas de la même façon pour tous les patients En hématologie, cancérologie (filgrastim, trastuzumab), il s’agit souvent de premières prescriptions limitées dans le temps et c’est assez facile. "En rhumatologie, on peut avoir à proposer un biosimilaire à un patient chronique bien équilibré sous anti-TNF". "Même si le spécialiste de ville a l’avantage de bien connaître son patient, il n’insistera pas si le patient a rencontré auparavant des problèmes de prise en charge", a reconnu le Dr Éric Senbel, rhumatologue libéral à Marseille. Dans tous les cas, le patient devra être associé à la décision si l’on veut que les biosimilaires soient durablement acceptés.

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