A l’instar d’Angelina Jolie, les cancers héréditaires font l’objet d’une médiatisation croissante, qui interpelle le grand public, de même que le développement majeur de tests prédictifs vendus pour pas cher sur Internet. Cela n’est pas sans poser de nombreuses questions. Faut-il élargir les indications des tests ? Et si oui, comment absorber cette surcharge ? Quoiqu’il en soit, le dernier Observatoire Cancer Institut Curie – Viavoice montre que les Français y sont favorables pour améliorer la prévention et le dépistage précoce.
La part de la génétique en oncologie est grandissante, tant pour le dépistage que pour sa prise en charge thérapeutique. Ainsi, sur les 400 000 nouveaux cas de cancer décelés en France chaque année, environ 5% (soit 20 000 cas) seraient liés à une prédisposition héréditaire. Actuellement, plus de 80 gènes de prédisposition génétique ont été identifiés. Les plus connus étant Brca1 et 2 pour les cancers du sein et/ou de l’ovaire. Pour prendre en charge ces pathologies, il existe 147 sites de consultation d’oncogénétique sur l’ensemble du territoire, ainsi que 25 laboratoires qui prennent en charge la réalisation des tests génétiques prescrits lors des consultations. L’objectif est d’identifier les personnes prédisposées héréditairement aux cancers, qu’il s’agisse de personnes malades (cas index) ou de membres non malades de leur famille (apparentés). Si besoin, ces personnes sont alors orientées vers l’un des 17 programmes régionaux multidisciplinaires qui leur proposent un suivi spécifique, basé sur la surveillance et/ou la chirurgie préventive, adapté aux différents risques identifiés. "Les modalités de prise en charge qui sont proposées dans un contexte de prédisposition dépendent aussi de l’histoire personnelle et familiale, et chaque femme [en cas de cancer du sein, ndlr] pourra faire son choix entre surveillance et prévention chirurgicale", précise le Pr Dominique Stoppa-Lyonnet, chef du service de génétique de l’Institut Curie et professeur à l’Université Paris-Descartes. Les consultations et les tests sont en forte augmentation en France depuis 2013 : le nombre de consultations réalisées est passé de 48 400 en 2013 à 72 000 en 2016 (+ 48%) tandis que le nombre de tests sur la même période passait de 25 000 à plus de 38 000 (+55%). Et le développement thérapeutique des tests devrait encore en augmenter sensiblement le recours à l’avenir. Dans ce contexte, l’information des patients, mais aussi celle du grand public est fondamentale. Mais que savent vraiment les Français dans ce domaine ? Pour en savoir plus, et mieux comprendre les enjeux à la fois médicaux, économiques et sociétaux de ce sujet, l’Institut Curie a consacré, cette année, la 6ème édition de son Observatoire Cancer Institut Curie – Viavoice à ce thème des cancers héréditaires, en prise directe avec le 3ème Plan Cancer. Réalisée auprès d’un échantillon de la population de 18 ans et plus, cette enquête met tout d’abord en évidence qu’une majorité des français (3 sur 4) a déjà entendu parler de prédispositions héréditaires au cancer, et que 1 sur 2 se sent concerné. En revanche, leur niveau de connaissances reste approximatif. Ainsi, 91% surestiment la part de l’hérédité. La moitié d’entre eux considèrent même que ce type de cancer représente entre 26 et 50 % de la globalité des cancers. Dans l’esprit des Français, trois types de cancers se distinguent particulièrement pour leur caractère héréditaire : le cancer du sein, qui émerge à 63 %, suivi des cancers digestifs à 38 % (dont cancers du colon à 24 %), et des cancers des organes de la reproduction (ovaire, utérus, testicules, prostate...) à 30 %. "La population française a très probablement été marquée par le témoignage d’Angelina Jolie. Très médiatisé, son cas a permis de faire connaitre ces formes héréditaires de cancers dans le grand public. Le développement des tests génétiques par internet et les discussions qui en découlent ont certainement joué un rôle également, souligne le Pr Dominique Stoppa-Lyonnet. En revanche la surestimation du nombre de cancers héréditaires est énorme et pose question : les Français préfèrent-ils penser que le cancer est une fatalité génétique plutôt qu’une maladie multifactorielle liée aussi à nos comportements individuels et à notre environnement ?". L’enquête met en évidence que les Français sont demandeurs d’une meilleure information concernant en particulier, le suivi des personnes prédisposées (71%), la compréhension même des risques (46%) et les modalités de réalisation des tests (46%). Une perception positive des tests Les tests génétiques sont perçus favorablement par les Français qui les considèrent, à 87 %, comme "un progrès pour la santé publique" et à 84% comme "un progrès individuel", car ils permettent de renforcer la surveillance et le dépistage précoce de la maladie. Cette vision positive est confirmée par le fait que les personnes interrogées sont 56 % (dont 61% de femmes) à voir favorablement la généralisation des tests pour améliorer la prévention des cancers héréditaires. Et 81 % des personnes n’ayant jamais été confrontées à la proposition ou à la réalisation d’un test accepteraient de le faire s’il leur était proposé. Mais pour aller dans ce sens, des freins doivent cependant être levés. Ainsi, 54 % des répondeurs évoquent la crainte de voir leurs données génétiques utilisées à d’autres fins : par des compagnies d’assurance, dans le cadre de leur travail, à des fins commerciales. Et 44% des Français mentionnent l’angoisse liée à la connaissance d’un risque personnel. Enfin, pour 25% c’est la culpabilité liée à la possible transmission d’un risque qui est citée. Pourtant, en France, les tests d’oncogénétique bénéficient d’un encadrement très strict : laboratoires agréés, données protégées, anonymisées pour la recherche notamment. Et les assureurs n’ont pas accès aux données génétiques et n’ont pas le droit de demander la réalisation de tests. "En revanche, il faut rester vigilant car certaines informations demandées dans les questionnaires de santé, comme la réalisation et la fréquence de certains examens (IRM, coloscopie…), peuvent être évocatrices d’une situation de haut risque de cancer", souligne Dominique Stoppa-Lyonnet. Le rôle central de la médecine générale Dans cette démarche, la place du médecin traitant est fondamentale, ainsi 63% des personnes interrogées jugent que le médecin traitant est le principal soutien professionnel dans ce domaine, loin devant un conseiller en génétique (32 %) ou un psychologue (25 %). "La médecine de ville pourrait jouer un rôle central dans la mesure où la compréhension des prédispositions aux cancers ne relève pas uniquement de l’expertise", souligne en effet l’Institut Curie. En plus de pouvoir orienter les patients qui en ont besoin, ils ont un rôle de sensibilisation, d’information et de réassurance auprès des patients. Mais pour assumer ce rôle, les omnipraticiens sont aussi en manque d’informations et de formation, comme l’indiquent les entretiens individuels réalisés dans le cadre de l’Observatoire Cancer Institut Curie-Viavoice 2018. "Les médecins de ville doivent pouvoir suivre des formations sur cette thématique, assister à des journées pédagogiques sur l’oncologie, ou encore avoir accès à des Mooc, des formations à distance accessibles au plus grand nombre", réagit un médecin généraliste consulté. Pour une extension des indications Alors faut-il élargir les indications des tests ? Pour le cancer du sein par exemple, la recherche de gène Brca repose sur des critères familiaux (nombre de cas de cancers, âges) et individuels (avant 36 ans, triple négatif avant 51 ans, cancer de l’ovaire de haut grade quel que soit l’âge, cancer du sein chez un homme). "Certains collègues à l’international souhaitent un élargissement des tests à toutes les femmes de plus de 30 ans. De mon point de vue, il est souhaitable aujourd’hui d’élargir raisonnablement les indications : à toutes les femmes atteintes de cancers du sein triple négatifs, à toutes celles ayant un cancer du sein avant 40 ans, voire à certains cancers du sein très évolutifs", indique le Pr Dominique Stoppa-Lyonnet. Cet élargissement des indications de tests Brca pourrait entraîner une augmentation de 50% du nombre de tests annuels en France de 18 000 à 27 000. Autre exemple, dans le syndrome de Lynch, la recherche de la « signature tumorale » (phénotype tumoral MSI3) est aujourd’hui recommandée chez tous les patients atteints d’un cancer colorectal jusqu’à 60 ans, ou en cas d’antécédents personnels ou familiaux évocateurs de ce syndrome. "On tend actuellement à recommander cette recherche chez tous les patients atteints de cancer colorectal sans critères d’âge (42 000 cas par an, estimation INCa 2017)" confirme l’Institut Curie. Ce développement des tests pose aussi un problème financier. "Le problème du financement reste entier, s’inquiète le Pr Pierre Fumoleau, directeur général de l'Ensemble hospitalier de l'Insitut Curie. Les tests génétiques s’inscrivent de plus en plus dans une stratégie globale de prise en charge pour une partie croissante de nos patients mais ne sont pas financés à l’acte. Il est aujourd’hui très difficile pour un établissement hospitalier d’avoir une stratégie médico-économique sans visibilité sur l’enveloppe annuelle allouée à ces tests." En effet, un test de première recherche d’altération génétique dans une famille (cas index) coûte 1 500 euros et un test ciblé chez les apparentés s’élève à 350 euros par personne.
L’Institut Curie met en garde contre le développement des tests génétiques proposés en ligne, et qui connaissent aussi un essor. "Ces tests ne sont pas fiables et trop simplistes pour apporter une information exploitable", affirme-t-il. A titre d’exemple dans le test 23andME seules 3 mutations pathogènes sont recherchées sur les gènes Brca alors que plus de 1 000 altérations de ces gènes ont été identifiées. "Une réponse négative de ce test ne veut donc rien dire et peut même faussement rassurer", précise l’Institut. Les résultats des tests effectués en France dans le cadre du dispositif national d’oncogénétique, sont donnés lors d’une consultation avec un médecin qui remet aux personnes prédisposées un programme personnalisé de suivi, ce qui n’est pas le cas lors le test est pratiqué en dehors de ce parcours, et peut être source d’une angoisse importante.
En outre, ces tests sur internet sont la porte ouverte au commerce de l’ADN qui représente un poids financier énorme. A titre d’exemple la société 23andMe possède déjà l’une des plus grandes bases de données génétiques au monde avec plus de 2 millions de profils génétiques. "Ces informations sont une mine d’or pour les sociétés pharmaceutiques qui concluent des accords avec la start-up américaine", souligne l’Institut Curie.
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