Un médecin qui conteste sa suspension par l'Ordre peut-il garder son cabinet ouvert ?

30/10/2023
Si cette décision risque d’entraîner des conséquences difficilement réparables et si les arguments invoqués semblent sérieux, la peine d’interdiction d’exercice peut être suspendue jusqu’au résultat du recours devant le Conseil d’Etat.

  En principe, lorsqu’un médecin est condamné à une peine d’interdiction d’exercice par le Conseil national de l’Ordre, il doit effectuer immédiatement sa peine, indépendamment du résultat de son éventuel recours, contre cette décision, devant le Conseil d’Etat. Ce recours n’est pas suspensif et si un médecin est condamné par l’Ordre à fermer son cabinet pendant plusieurs mois, il risque de perdre sa clientèle même si le Conseil d’Etat finit par lui donner raison, là encore au bout de plusieurs mois. Lorsqu’une décision d’interdiction d’exercice risque d’entraîner des conséquences difficilement réparables pour un médecin (comme une hypothétique réouverture d’un cabinet un ou deux ans plus tard…) et si les moyens qu’il invoque sont suffisamment sérieux, le Conseil d’Etat peut statuer en urgence et ordonner qu’il soit sursis à l’exécution immédiate de la sanction prononcée par l’Ordre, dans l’attente du résultat de son recours au fond. Cette procédure d’urgence est prévue, notamment par les articles L.521-1, L.521-4 et  R.821-5 du Code de justice administrative. Une procédure qui n’aboutit que très rarement, mais qui a le mérite d’exister, alors que des médecins lourdement condamnés et obligés de fermer leur cabinet, verront leur carrière anéantie, même s’ils obtiennent gain de cause devant le Conseil d’Etat, plusieurs mois après.

  Des conséquences difficilement réparables Parmi la jurisprudence récente, on peut citer un arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 25 juin 2021 en faveur d’un médecin gynécologue-obstétricien qui avait été condamné à trois mois d’interdiction d’exercice, dont deux assortis du sursis. Une condamnation qui risquait d’entraîner, pour ce praticien, des conséquences difficilement réparables, et qui pouvait ainsi justifier la demande de sursis. Dans un autre arrêt du 30 juillet 2021, le Conseil d’Etat s’est prononcé dans le même sens, en autorisant un médecin généraliste à continuer d’exercer jusqu’au résultat de son recours devant le Conseil d’Etat, alors que ce médecin avait été condamné à trente mois d’interdiction d’exercice. Pour avoir une chance d’obtenir gain de cause, il faudra développer des arguments sérieux qui seront présentés et défendus, devant le juge des référés du Conseil d’Etat, qui va statuer en urgence : il faudra ainsi rappeler que l’activité sanctionnée est la seule activité du médecin, qui risque ainsi d’être privé de revenus, alors qu’il ne pourra changer de spécialité et que sa suspension d’exercice entraînera nécessairement une rupture dans le parcours d’accès aux soins pour sa patientèle… Même si la sanction peut sembler disproportionnée avec des conséquences souvent irréversibles, le Conseil d’Etat reste seul juge et doit préciser si "le caractère global de la suspension ne peut être regardé comme permettant de douter sérieusement de sa légalité", comme il l’a rappelé dans une décision du 24 novembre 2021. Si la décision d’interdiction d’exercice prononcée par l’Ordre est entachée de dénaturation des pièces du dossier et s’il est fait état d’arguments propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision, le sursis sera plus facilement accordé, comme l’a jugé le Conseil d’Etat, dans un arrêt du 22 août 2023, à propos d’une femme médecin condamnée à trois mois d’interdiction d’exercice. Dans une autre affaire, une médecin avait été suspendue  pour troubles pathologiques, alors que l’expertise demandée par l’Ordre avait conclu que son état de santé était compatible avec l’exercice de la médecine tout en insistant sur la nécessité de maintenir un suivi médical sur le long terme en raison d’un "risque de décompression" lié à différents facteurs de fragilité. Dans une décision du 13 janvier 2023, le juge des référés du Conseil d’Etat a accueilli favorablement la demande de sursis à exécution de cette généraliste alors que la décision ordinale la privait de l’emploi qu’elle occupait et de la rémunération correspondante. Ses indemnités journalières, autour de 1 500 euros par mois, ne couvraient pas ses charges personnelles et mensuelles, d’un montant de 3 000 euros, hors dépenses courantes, alors que cette médecin était aussi appelée à subvenir aux besoins de son fils malade.  

Nicolas LOUBRY, Juriste
 
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