Interviewé par Egora.fr Alain Juppé, le maire de Bordeaux, est en lice pour la bataille des primaires de la droite et du centre, dont la campagne commence officiellement aujourd'hui. Fervent défenseur du libéralisme, le candidat père du plan éponyme de 1995 sur la Sécurité sociale, abrogera par la loi le tiers payant obligatoire. Il veut aussi une convention médicale plus moderne et ambitieuse, inspirée de la consultation nationale du Conseil national de l'Ordre des médecins. Enfin, pour redonner du pouvoir aux libéraux face aux caisses et à l'administration, il créera un comité de professionnels de santé de terrain, consulté sur les procédures et les changements administratifs, avec un droit d’opposition. Egora : Une nouvelle convention médicale vient d'être conclue entre l'assurance maladie, MG France, le BLOC et la FMF, avec une participation budgétaire des organismes de protection complémentaire. Considérez-vous que ce texte va dans le sens de la revalorisation de la médecine libérale à laquelle vous vous êtes engagé si vous êtes élu ? La consultation à 25 euros pour le médecin généraliste, est-ce suffisant ? Alain Juppé : Pour la médecine libérale, il faut une nouvelle donne, certains diraient un New Deal. La convention contient naturellement quelques avancées mais c’est un peu du bricolage au regard des enjeux. Je ne suis pas le seul à le dire. Le Président du Conseil national de l’Ordre des médecins estime que le système de santé mérite bien plus. Les représentants des étudiants, internes et jeunes médecins pensent que cette convention ne suscitera pas plus d'envie d'installation en libéral. Dans un contexte de défiance généralisée du gouvernement à l’égard des médecins, les signataires ont préféré prendre quelques avancées, comme la revalorisation de l’acte et le forfait structure, plutôt que rien du tout. La consultation à 25 euros, c’est la moindre des choses, mais la convention n’est pas allée assez loin : il faut notamment avancer vers une meilleure hiérarchie des actes, intégrer la télémédecine, favoriser la coordination des soins et, naturellement moderniser la nomenclature. Vous souhaitez garantir les fondements de la médecine libérale. Quels sont-ils aujourd'hui et comment ? Je veux garantir les fondements de la médecine libérale, la liberté d’installation, la liberté de prescription ou encore la libre fixation des honoraires et leur paiement direct. Ils sont une condition pour avoir des soins de qualité. Et je crois en une médecine libérale qui repose sur des choix de responsabilité et de liberté. Mais le chantier est beaucoup plus vaste. L’exercice en libéral n’est pas immuable, les aspirations de beaucoup de médecins évoluent. Ils veulent des conditions d’exercice qui leur permettent d’avoir du temps à eux en dehors de leur métier. Ils en ont assez de toute la "bureaucratie" dans les relations avec les caisses. Ils veulent une juste reconnaissance. Je suis également préoccupé par l’importance des burn-outs, des suicides, et par le fait que beaucoup de jeunes médecins ont peur de s’installer en libéral. Enfin, avec les nouvelles technologies, nous entrons à toute allure dans une nouvelle ère. Il faut une nouvelle donne, en prenant appui sur le socle des principes de la médecine libérale. Pour avancer, il faudra de la concertation et du dialogue à tous les étages ! Avec les syndicats de médecins, mais aussi avec l’Ordre, qui a réalisé une Consultation nationale très intéressante pour l’avenir de la médecine libérale. Il doit y avoir un profond changement de méthode et de perspective. Les pouvoirs publics et les caisses doivent enfin reconnaître que c’est du terrain et des professionnels que doivent partir les initiatives. Il faut cesser d’imposer aux professionnels des contraintes bureaucratiques, en considérant qu’ils n’ont qu’à s’adapter : un comité de professionnels de santé de terrain, renouvelé régulièrement, sera consulté sur les procédures et les changements administratifs, avec un droit d’opposition. Les médecins n'ont pas oublié le "plan Juppé" de 1995, portant votre marque. Que pouvez-vous dire au corps médical, pour qu'il retrouve confiance en vous, plus de vingt ans après cette crise durable ? J’ai fait mon mea culpa, et même plusieurs fois. J’en ai tiré toutes les leçons, depuis longtemps déjà. La principale est que l’on ne réforme pas sans les médecins et a fortiori contre les médecins, ni même sans avoir dissipé tous les malentendus lorsqu’ils existent. Rien ne se bâtit sans un travail en commun, ni sans confiance. La confiance ne se décrète pas, elle se construit. J’ai beaucoup échangé, avec des médecins et avec leurs représentants. J’ai agi, aussi, à Bordeaux. Pour le reste, l’essentiel de la réforme de 1995, avec notamment les lois de financement de la sécurité sociale, est toujours en vigueur.
Que comptez-vous faire pour valoriser la fonction du médecin traitant et soutenir l'installation des jeunes alors que le pays souffre de désertification médicale ? Je n’aime pas le concept de "déserts médicaux" : comme s’il existait des territoires où tous les services sont présents, sauf la santé. La réalité, ce sont des villes ou des villages où peu de nouveaux habitants s’installent, pas seulement des médecins ! Il faut redonner à tous les territoires de l’attractivité, avec des activités et des emplois, mais aussi des transports et une couverture numérique irréprochables. Au-delà, il faut garantir aux médecins de bonnes conditions d’exercice et de vie lorsqu’ils s’installent dans des zones où la densité de professionnels est faible, en respectant la liberté d’installation. Je pense à l’attribution par les collectivités territoriales d’aides financières pour la disposition de locaux professionnels et de logements. A ce qui peut être fait pour favoriser l’installation de professionnels de santé regroupés, pour permettre une mutualisation des moyens, comme le souhaite une partie des jeunes médecins. Au financement des études par l’attribution de bourses en contrepartie d’une installation pendant une certaine durée. Il faudra aussi négocier avec les médecins la façon dont leur départ en retraite peut être mieux anticipé et organisé dans des conditions plus favorables pour eux. Surtout, je crois aux initiatives des médecins, comme la constitution d’associations de professionnels se déplaçant à tour de rôle dans des zones où l’offre de soins est insuffisante, ou la proposition de consultations, remboursées, de télémédecine : elles doivent être mieux encouragées et valorisées.
Les médecins libéraux refusent majoritairement la mise en place du tiers payant généralisé et obligatoire. Vous vous êtes engagé à revenir "tout de suite" sur cette obligation. Faudra-t-il une nouvelle loi pour défaire les éléments de la loi de modernisation de notre système de santé, rejetés par les libéraux ? Oui, naturellement. Le tiers payant généralisé sera abrogé par la loi.
L'opposition affiche son intention de "des-hospitaliser"' notre système de santé. Que cela signifie-t-il en pratique, pour les hôpitaux et pour les cliniques privées ? Il faut effectivement en finir avec un système trop hospitalo-centré et donner toute sa place à la médecine de ville. Tous les nouveaux besoins des patients -progression des maladies chroniques, vieillissement de la population- et toutes les techniques nouvelles -chirurgie ambulatoire, e-santé- rendent cette évolution indispensable et possible. Il faut de la coordination autour du médecin traitant et du médecin spécialiste de proximité. Les conséquences du manque actuel de coordination entre l’hôpital et la ville sont supportées, au bout du compte, par la personne malade. Elles peuvent être très négatives, notamment pour les personnes âgées ou dépendantes, avec des hospitalisations et des ré-hospitalisations non coordonnées, ni avec la médecine de ville, ni avec les services médico-sociaux en charge du retour à domicile .L’hôpital doit s’ouvrir davantage, sur la médecine de ville et le secteur médico-social. Vous ne voulez pas baisser le taux de couverture des dépenses de l'assurance maladie ni accroître les prélèvements. Et vous vous refusez à envisager un accroissement de la dette. Comment comptez-vous vous y prendre pour résoudre cette équation ? Non, je ne le veux pas. Ce serait un recul extraordinaire pour l’égal accès aux soins, et aussi en termes de justice sociale. Les études le montrent : le reste à charge est déjà élevé, notamment pour les personnes atteintes de pathologies chroniques et les ménages modestes. Mon ambition, c’est au contraire de diminuer les inégalités face à la santé. Pour cela, il n’y a pas quarante solutions. Il faut une tolérance zéro pour la fraude, les abus, les gaspillages. Je veux aussi supprimer l’AME et la limiter aux situations d’urgence. Il faut plus de responsabilité dans le système et refuser la fausse gratuité du tiers payant généralisé. Améliorer notre système de santé par une meilleure coordination des soins, c’est tout à fait positif pour la santé des Français, c’est aussi beaucoup moins onéreux.
Comptez-vous revenir sur le numerus clausus, dont l'intention régulatrice est battue en brèche par la libre circulation des étudiants en médecine dans l'union européenne ? Quelles solutions envisagez-vous pour mettre un terme au gâchis de l'échec massif au PACES ? Le numerus clausus permet d’assurer la pérennité du nombre de médecins mais, dans les conditions actuelles, c’est un énorme gâchis. La mise en place d’un tirage au sort serait un pur scandale. Une sélection sur dossier des étudiants admis en PACES devrait être envisagée. Et il faut mieux informer en amont les étudiants sur les exigences et le niveau des études médicales. Au-delà, ces études doivent évoluer : elles doivent mettre l’accent, bien plus qu’aujourd’hui, sur la relation individualisée avec le malade, la capacité à prendre de bonnes décisions, les nouvelles technologies et les langues étrangères. Les étudiants étrangers qui, ayant effectué leur second cycle à l’étranger, se présentent à l’examen classant du 3e cycle devraient, et bien connaître la médecine, et bien connaître le Français : on ne s’en assure pas assez actuellement : je veux revoir cela.
Vous affichez l'intention de faire de la France le leader européen de la e-santé à l'horizon 2022. Comment ? Je veux en faire un chantier de mon quinquennat. La e-santé va occasionner beaucoup de progrès, pour les patients comme pour les médecins. La France a beaucoup d’atouts: une excellence académique et universitaire, qu’il s’agisse de nos excellentes facultés de médecine ou de notre haut niveau en mathématiques, des bases de données médicales très riches et une réglementation permettant de garantir la qualité et la sécurité des données. Pourtant, si l’on n’agit pas, nous serons en retard. L’investissement est coûteux. Il faut aussi maîtriser des compétences très variées: le partenariat entre acteurs qui ne sont pas nécessairement habitués à se parler est donc décisif, il faut le faciliter. Enfin, il faut des remboursements par l’assurance maladie : il faut des marchés nationaux pour pouvoir se développer ensuite. Vous vous êtes insurgé contre les prix "prohibitifs" de certains médicaments. Comment réguler le secteur, mettre en place de nouvelles procédures de fixation des prix des médicaments ? L’arrivée croissante sur le marché de produits très innovants est une excellente nouvelle. Cela pose cependant d’évidents problèmes aux finances de l’assurance maladie. Il faut beaucoup mieux négocier avec les laboratoires en étant très exigeant sur la réalité du service médical rendu, en tenant compte de l’avis d’experts indépendants. Cela peut aussi se faire au niveau international. Il faut aussi concilier les objectifs de maîtrise des dépenses et de développement des industries de santé dans le cadre d’un pacte de mandature avec les industriels qui leur donne la visibilité et la stabilité dont ils ont besoin.
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