"Un petit verre de bourgogne pour accompagner la daube qui mijote depuis ce matin?" Voilà qui paraît incongru, et pourtant c’est ce qu’on peut entendre dans certains services de soins palliatifs. Faire renaître dans ces endroits trop mornes convivialité et bonne chère, voilà le pari de ces médecins qui plaident pour le nécessaire respect des plaisirs de chacun, jusqu’à la fin. S’offrir le plaisir d’un bon verre de vin pour accompagner un repas que l’on apprécie, même lorsque l’on est à l’hôpital, même lorsque l’on est dans un service de soins palliatifs. En septembre, le service du Dr Virginie Guastella, au CHU de Clermont- Ferrand, inaugurait une cave à vin. Quelque deux cents bouteilles, conservées dans de bonnes conditions, au sein même de l’hôpital et à disposition des patients quand ils reçoivent leur famille, qu’ils ont une occasion à fêter, qu’ils ont juste envie d’un petit plaisir. L’affaire a fait grand bruit. Pourtant, le service de soins palliatifs de Virginie Guastella n’est pas le seul à être à l’écoute des envies de patients, et surtout "ils ne nous ont pas attendus pour boire leurs dernières gorgées de bière", glissait le Dr Guastella. "Hygiénisme moral" "On met souvent en avant la convivialité autour de la boisson et de la nourriture. Mais à l’hôpital elle n’existe pas beaucoup", souligne Catherine Le Grand-Sébille. Docteur en anthropologie sociale, elle a réalisé une étude sur le sujet et a été associée à l’initiative du CHU de Clermont-Ferrand (Lire l'interview). "Il ne faut pas voir le patient que comme un organisme qui n’aurait qu’à gérer et digérer des nutriments. La seule optimalité biologique ne saurait résumer la complexité de ce qu’est la nourriture pour nous, humains." Si dans beaucoup de services, notamment à l’hôpital, règne ce que Catherine Le Grand-Sébille appelle "un hygiénisme moral", certains ont fait le choix, comme le Dr Guastella, d’être davantage à l’écoute des patients. Ainsi des structures associatives ou privées de soins palliatifs se démarquent d’une culture hospitalière rigide et de la restaurationcollective qui prévaut dans de nombreuses institutions. "Là, on repère les effets positifs de la liberté de manger et de boire selon ses préférences, jusqu’à la fin de sa vie. Ces établissements sont sensibles à préserver les capacités de choix des personnes accueillies", assure la socio-anthropologue. C’est aussi le parti pris du Dr Jean-Marc Lapiana. Il dirige depuis vingt ans la Maison de Gardanne, dans les Bouches-du-Rhône. Cet établissement de soins palliatifs accueille 24 personnes, entourées de soignants et d’une équipe de bénévoles. "Tant qu’on est vivant, on n’est pas mourant. Même si on a une maladie, on est vivant. On sera mort quand on sera mort, résume prosaïquement le Dr Lapiana. Un lieu de vie, ça peut paraître des mots comme ça, mais quand on a une perception des gens en vie plutôt que mourants, ça ouvre beaucoup plus de pistes. Parce qu’à partir du moment où on considère que les gens sont mourants, on va les protéger d’un tas de choses. On va leur dire que ça ce n’est pas bien, trop dangereux, trop fatigant. Alors qu’en fait, on n’a qu’une vie, et on a le droit de la gérer comme on l’entend, jusqu’au bout. On peut avoir envie d’aventures particulières, même si à certains moments elles peuvent fatiguer ou mettre en difficulté." "On cuisine devant les résidents qui passent" À la Maison de Gardanne, tout est possible parce que rien n’est interdit. Bien sûr, il y a des règles. "Mais les règles, ça se discute." Le principe de base, c’est que les résidents sont capables d’expliquer où sont leurs priorités. Dernières envies en date: danse, voile et même baptême de l’air. Dans un second temps, l’équipe médicale discute de ce qui est possible, ou pas. Au coeur de la Maison de Gardanne, un autre réservoir à plaisirs : la cuisine. Implantée au centre du bâtiment, cette cuisine ouverte sur la salle à manger est tenue par Patricia Chatrian depuis bientôt vingt ans. "Toute la matinée, on cuisine devant les résidents qui passent, viennent nous voir, nous parler. Comme à la maison", assure Patricia Chatrian. Et glanent au passage le fumet d’un bouillon qui mijote, le bruit du couteau qui tranche, la vue des cageots de légumes fraîchement livrés. "Quand on nous voit éplucher des légumes frais, ça donne plus envie que de nous voir ouvrir une barquette. Les odeurs, la vue. Tout ça permet à la personne de se réalimenter", souligne Patricia Chatrian. "Une glace à 2 h du matin, c’est possible !" Plus d’une fois, cette cuisinière hors normes a vu des patients arriver à la Maison avec une poche d’alimentation. À chaque fois, elle relève le défi : enlever ces poches et réalimenter la personne, aussi souvent que possible. "On a eu le cas d’un patient qui est arrivé avec la consigne de manger mixé, se souvient Patricia Chatrian. Et on s’est demandé pourquoi. On a vu avec la personne si elle avait des problèmes de déglutition ? De dents ? Il n’y a pas besoin d’un mixé lisse pour une personne qui a des problèmes de dents. Il y a différentes textures qui peuvent être adaptées. Ici, on ne passera jamais d’une alimentation normale à un mixé lisse." Non, avant ça, il y a des étapes dans toutes les textures. D’un plat ordinaire jusqu’à l’écume: du mou, du haché au couteau, du haché au robot, du mixé granuleux, du mixé lisse, du liquide, de la mousse. "Tout ça permet de maintenir l’alimentation jusqu’au bout, tant que la personne le souhaite." Une attention qui nécessite de connaître chacun de ses patients, ses goûts, et de prendre le temps. "Je me souviens aussi d’une personne qui avait une sonde nasogastrique, qui ne pouvait pas manger mais qui pouvait avoir du goût. Et cette personne avait très envie de manger de la daube. Mais c’était impossible. Avec une sonde, l’aliment peut passer, mais il faut vraiment qu’il n’y ait pas de particules. En fait, on lui a fait, mais sous forme de liquide, avec plusieurs filtrages, des tamis de plus en plus fins, jusqu’à en faire un dé à coudre de jus de daube. Et on lui a donné comme ça. Ça prend du temps, mais on essaye de le faire, parce que ça vaut le coup." Prendre le temps de cuisiner mais aussi donner le temps de manger. À Gardanne, pas d’heure pour le petit déjeuner. Pas question de réveiller un patient ou de le priver de croissants parce qu’il a tardé au lit. Et puis, à l’heure du déjeuner ou du dîner, tout le monde se réunit dans la grande salle à manger contiguë à la cuisine. On retrouve le plaisir d’être assis, ensemble, à table. On met de jolis verres, de belles assiettes. "Mais si quelqu’un n’a pas faim, on lui garde son repas, et on lui fait réchauffer plus tard." De toute façon, la cuisine est ouverte 24 heures sur 24. "Une glace à 2 h du matin, c’est possible !", lâche Patricia Chatrian dans un sourire. L'alimentation relie à la vie Faire plaisir, voilà son credo. Et quand les enfants d’une pensionnaire, récemment décédée, viennent la revoir en lui évoquant avec tendresse le souvenir de ses carpaccios de poisson, elle est ravie. "Quand on recevait du poisson frais, je lui préparais un carpaccio, parce que je savais qu’elle aimait le poisson cru. Alors, elle appelait son fils: “tu ne devineras jamais..., j’ai mangé un carpaccio de cabillaud”." Derrière toutes les envies des résidents, il y a l’accord du médecin, bien sûr. Mais derrière toute consigne médicale, il y a une réflexion: quel est l’enjeu derrière l’interdiction? Comme à Clermont-Ferrand, la Maison de Gardanne dispose d’une bonne cave. "Il a des personnes à qui on a interdit le vin pour des raisons qui ne sont pas purement médicales. Parce qu’on cherche à les protéger du moindre souci. Mais si une personne à envie de boire une coupe de champagne, et qu’après elle a un peu mal à la tête, ce n’est pas très grave. Elle s’est fait plaisir, glisse Patricia Chatrian. Dans la vie quotidienne, quand on est en bonne santé, beaucoup de choses deviennent banales. Mais ici ces choses-là deviennent extraordinaires. Il faut prendre soin de ces petits moments. Ils sont éphémères, donc ils doivent être beaux, intenses et faire plaisir. L’essentiel de mon travail est là. L’alimentation, c’est quelque chose qui nous relie à beaucoup de choses, et en premier à la vie. Faire manger, c’est un acte important. On essaye de le maintenir jusqu’au bout."
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