Le 30 avril dernier, le Dr Régis Badel a tiré un trait sur 20 ans de médecine libérale. A 51 ans, le généraliste a fermé la porte de son cabinet et dit adieu à ses patients. Les tracas administratifs, le manque de considération, les contrôles, une certaine pression des patients ont eu raison de son attachement à la médecine générale. Depuis quelques mois il savoure une nouvelle vie comme médecin du travail en agriculture. "J'ai arrêté définitivement mon activité libérale le 30 avril 2016. J'étais installé à Lyon en cabinet de médecine générale depuis 20 ans, et j'étais plutôt programmé pour suivre mon exercice en médecine générale. C'était vraiment une voie que j'avais choisie par vocation. J'étais installé avec un associé. On avait un secrétariat à temps partiel. La décision de quitter la médecine libérale a été prise quand j'ai eu 50 ans, il y a un peu plus d'un an et demi. La décision n'a pas été facile à prendre. Il fallait que je trouve le mode d'exercice qui me conviendrait le mieux. J'ai saisi une opportunité pour anticiper de façon la plus sereine possible mon départ. Et je peux vous dire que ce n'est pas simple. Une période de transition La transition s'est faite progressivement. En novembre 2015, j'ai commencé à temps partiel une activité dans un service de santé au travail en agriculture, comme médecin collaborateur. En même temps, j'ai commencé à préparer un diplôme de médecine agricole à Tours, que je n'ai pas encore terminé. Je suis en phase de finalisation. Il me permettra d'avoir le statut de médecin du travail en agriculture, et non plus de collaborateur. Je suis aussi secrétaire général du conseil de l'Ordre des médecins du Rhône. J'ai essayé de mener tout de front. Et j'ai donc cessé mon activité libérale totalement le 30 avril. Beaucoup de mes confrères ont été surpris de ma décision. Ils me voyaient bien programmé pour la médecine générale. Après, quand on explique aux gens et qu'on discute, ils comprennent. Y compris les patients. J'ai été très touché par toutes les marques de confiance et de sympathie des patients. Malgré leur déception, ils comprenaient ma décision. C'était très important pour moi qu'ils puissent comprendre et accepter mes choix. C'est pour ça que j'ai absolument voulu cette période de transition. Pour me préparer et pour les préparer aussi. Je crois qu'ils en avaient besoin, autant que moi. J'ai l'impression d'avoir pu faire les choses sereinement et un peu moins dans la douleur. Au moins pour mes patients. 10 ans de lune de miel Je n'ai pas trouvé de successeur. C'est ce qui a été le plus compliqué. Mon collègue se retrouve seul dans le cabinet où on était deux. J'ai passé beaucoup de temps à orienter mes patients, en fonction de leurs pathologies, en fonction de la connaissance que j'avais de leurs caractères et de celui de mes confrères. En plus, j'étais installé dans un arrondissement de Lyon classé zone fragile, où la démographie est déclinante. J'ai bien conscience d'avoir surchargé mes confrères. Je leur avais écrit à tous. J'avais essayé de les prévenir aussi par téléphone, pour qu'ils puissent prendre en charge certains patients qui avaient besoin par exemple de visite à domicile ou qui avaient des dossiers un peu plus lourds. Pour certains, j'avais besoin de savoir qu'ils étaient dans de bonnes mains. Cela faisait plusieurs années que j'envisageais d'arrêter l'exercice de la médecine générale, et l'exercice libéral en particulier. Les conditions d'exercice se dégradaient et les politiques successives de réforme de la santé ne correspondaient plus à la façon dont j'avais envie d'exercer mon métier. J'ose dire que j'ai eu dix ans de lune de miel, pendant lesquels je me suis totalement épanoui dans mon travail. J'ai pu apprécier ces années. Et depuis une dizaine d'années, j'ai vraiment senti une détérioration des conditions d'exercice. Attaques injustes sur la médecine libérale On a vu s'accumuler les réglementations, les contrôles incessants de notre activité de la part des caisses d'assurance maladie, une multiplication de la paperasserie à tous les niveaux. Ce sont des demandes de renseignements, de protocoles de soin, sans parler de tous les imprimés qui se perdent et qu'il faut refaire. Tout ça a fait que le temps médical s'est réduit comme peau de chagrin au profit d'un temps administratif considérable. Il y a peut-être aussi une pression des patients. La médecine est devenue un bien de consommation comme un autre, le médecin est devenu un prestataire de service, et il doit assumer ses fonctions en tenant compte des objectifs de tout le monde. Et puis toutes les attaques injustes sur la médecine libérale qui ont pu être faites par les différents politiques de droite ou de gauche. On a rendu la médecine libérale responsable de toutes les dépenses, de tous les maux de la santé. Ce qui a été certainement un coup fatal, ce sont toutes les discussions autour de la loi de santé. Quand je dis discussions, il n'y en a pas vraiment eu d'ailleurs. C'est un peu un rouleau compresseur qui nous est tombé dessus. La loi de santé n'a pas été l'élément déterminant dans ma décision d'arrêter mon activité, mais ça a été la goutte d'eau qui est arrivée en plus. Aujourd'hui j'ai une activité salariée Le manque de revalorisation du C aussi a été un élément. Les discussions autour de la nouvelle convention, que j'ai trouvées pathétiques, montrent combien on est à un stade dégradé. On devrait pouvoir être revalorisés de façon juste et honnête comme l'ensemble des concitoyens de ce pays. Mais non, à chaque fois, ça passe par des négociations conventionnelles. Avec leur lot d'aberrations et de propos totalement injustes vis-à-vis de la profession du médecin généraliste. Aujourd'hui, j'ai donc une activité salariée. C'est particulièrement intéressant, parce que je découvre un nouveau métier. Dans un domaine qui m'est cher parce que je viens d'un milieu agricole, mes grands-parents des deux côtés étaient paysans, au sens noble du terme. Ce métier est totalement différent de la médecine générale puisqu'il est axé sur la prévention des risques professionnels. Il y a des notions nouvelles pour moi, de législations, de risques professionnels, chimiques, de produits phytosanitaires… Mais...] c'est passionnant, on travaille en équipe avec des infirmiers, des conseillers en prévention, avec des internes… On a des secteurs d'activité très variés puisqu'on peut passer d'une coopérative fruitière, à un centre d'insémination artificielle, à une taurellerie, à une fromagerie. C'est vraiment très intéressant. Je peux enfin diner avec mes enfants le soir Je ne travaille pas forcément mieux. Je travaille différemment. La notion d'urgence est moins prégnante en médecine du travail qu'en médecine générale. Il y a certainement moins de pression, ou elle est différente. Je travaille avec des horaires compatibles avec une vie familiale. Ce sont des horaires normaux. La notion de normalité, je ne l'avais plus depuis longtemps. Je partais à 7h30 le matin de chez moi et je rentrais à 21h30 ou 22h. Quand il n'y avait pas d'épidémies. Aujourd'hui, les enfants sont contents de voir que je suis là le soir pour prendre le repas avec eux. Ça n'était pas arrivé depuis des années. En termes de rémunération, j'ai beaucoup perdu. J'avais essayé d'anticiper. J'avais bien conscience de cet aspect-là. Mais quand on fait un choix, il faut l'assumer jusqu'au bout. Ramenés au taux horaire, je ne suis pas certain que mes revenus soit beaucoup moins importants. J'anticipe une perte de l'ordre de 20% à 25% sur l'année. Il y a bien sûr des choses que je regrette. J'aimais beaucoup la pédiatrie, je n'en ferais plus. Ça peut me manquer. Mais je découvre d'autres aspects d'un métier qui sont passionnants. Ca amoindri le sentiment un peu amer que j'ai pu avoir au début. J'en parle facilement aujourd'hui, mais il m'a fallu bien six mois. Je n'en ai pas parlé tout de suite. Je n'étais pas tout à fait capable, c'était difficile pour moi. C'était renoncer à 20 ans de ma vie, à un exercice que j'ai vraiment adoré, que j'ai fait avec passion. Même si on reste dans son rôle de médecin, on crée des liens et des affinités avec les patients qui sont très forts et qui ne peuvent pas s'éteindre du jour au lendemain. Je garde en tête tout un tas de souvenirs très sympas. J'ai appris beaucoup auprès de mes patients. Je ne regrette absolument pas ces années de médecine générale."
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