La pandémie de Covid, en accentuant les difficultés que connaît la psychiatrie, les a mises en lumière. Chacun a pu en mesurer l’ampleur. Entretien avec le Pr Pierre Michel Llorca, chef de service de psychiatrie au CHU de Clermont-Ferrand et directeur des soins de la Fondation FondaMental. Egora-Le Panorama du médecin: La pandémie de Covid a augmenté les troubles psychiques. Quelle est la situation ? Pr Pierre Michel Llorca : Sur sa vie entière, un bon quart de la population française présentera un problème de santé mentale, troubles anxieux, dépression, psychoses, troubles des conduites alimentaires, etc., à l’origine d’un fort niveau d’incapacité… L’OMS indique ainsi que les pathologies psychiatriques sont celles qui provoquent le plus d’années vécues en incapacité fonctionnelle (altération de la vie au quotidien et en société). Ces troubles ont aussi un coût pour la société, 120 milliards d’euros en 2019 - donc avant la pandémie -, en croissance (109 en 2007). Par ailleurs, ils sont associés à une morbimortalité élevée, la perte d’espérance de vie étant de 10 ans en moyenne (de 5 à 20 ans selon le trouble), sans doute parce que les patients accèdent plus difficilement aux soins et sont en butte à la stigmatisation. Quoi qu’il en soit, alors que dans la population générale, 10 % présentent un syndrome métabolique, 20 % des patients bipolaires en ont un, 25 % des patients souffrant d’une dépression résistante, 30 % des patients schizophrènes. 75 % ne reçoivent aucun traitement pour chacun des facteurs de risque métabolique… Enfin, on compte encore 10 000 décès par suicide par an, plutôt des jeunes gens (25-35 ans) ou après 70 ans. Et la famille n’est pas épargnée : le nombre d’évènements médicaux touchant les proches est beaucoup plus élevé que pour ces pathologies chroniques, sclérose en plaques ou polyarthrite rhumatoïde par exemple.
Quelles sont les problématiques rencontrées pour la prise en charge des patients ? Première difficulté, de taille, celle d’une meilleure compréhension des maladies psychiatriques et de la mise au point de stratégies de prise en charge plus efficaces. Il s’agit là d’un enjeu de recherches internationales. En France plus précisément, le financement pour la recherche est 3 fois moindre qu’au Royaume-Uni, 10 fois moindre qu’aux États-Unis ; nous sommes au dernier rang des fonds alloués à la recherche en psychiatrie par rapport à notre Produit Intérieur Brut. Concernant les soins, si nous avons depuis les années 60 un dispositif structuré et ambitieux basé sur des secteurs dédiés qui assurent les soins de proximité, leur mode de fonctionnement est devenu déséquilibré : leur dotation est disparate, tenant compte d’indices certes améliorés, mais non ajustés aux besoins réels. Par ailleurs, la spécialité souffre de stigmatisation, à l’égard des patients, des proches et même des soignants, les acteurs de la psychiatrie étant considérés comme loufoques, excentriques : la représentation qu’a le public des maladies mentales atteint par contiguïté les individus qui en prennent soin, alors suspects… S’y ajoute le problème de la démographie médicale...
qui ne devrait pas en être un puisque la France est le 3ème pays au Monde en termes de nombre de psychiatres rapporté à sa population, mais la répartition géographique perfectible, le défaut d’attractivité du secteur public (versus privé) font que tous les malades qui le mériteraient n’ont pas accès aux stratégies spécialisées développées en psychiatrie. Quels seraient les remèdes, selon vous ? Pour pallier ces insuffisances, un système où les soins seraient gradués doit être organisé, en 3 niveaux, à l’image de ce qui se fait pour les maternités, avec des structures de premier recours dévolues aux soins primaires, des soins plus spécialisés et des dispositifs experts de 3ème niveau. Les missions des secteurs ne peuvent en l’état évoluer, qui permettraient des accès différenciés. Autre frein, la diversité des pathologies qui rend impossible la connaissance de toutes… Le modèle danois réussi de gradation des soins pourrait nous inspirer.
L’attractivité du secteur public, aujourd’hui perçu par les médecins comme un lieu de contraintes administratives au détriment du soin, devrait être améliorée, notamment en matière de conditions de travail (actuellement dégradées en raison du manque de moyens et de la structuration médiocre) pour que les internes choisissent à nouveau notre spécialité. Des avancées récentes nous font espérer, comme le remboursement annoncé des consultations de psychologues même si le “calibrage“ des psychothérapies peine à se mettre en place, les acteurs de la psychiatrie manquant parfois de cohésion… Les efforts des Autorités de Santé sont encore infiniment petits par rapport à nos enjeux, de recherche et de soins.
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