Alors qu'Agnès Buzyn a rappelé que la lutte contre les déserts médicaux était sa priorité, les sénateurs Jean-Noël Cardoux et Yves Daudigny ont dévoilé leur rapport relatif à l'accès aux soins primaires dans les zones sous-dotées. Evolution de la protection sociale des libéraux, guichet unique à l'ARS ou encore suppression des cotisation retraite pour les médecins en cumul emploi/retraite…font parties des pistes évoquées par les parlementaires. Yves Daudigny revient sur ce rapport pour Egora.
Egora : Qui vous a commandé ce rapport ? Yves Daudigny : Ce rapport est né des discussions de la loi de financement pour la sécurité sociale de novembre 2016. Plusieurs collègues avaient déposé un amendement visant à mettre en place des mesures coercitives, en particulier un conventionnement sélectif, dans les zones surdotées. Ces amendements ont reçu un avis négatif de l'ensemble des commissaires de la commission des affaires sociales. Il a alors été proposé que la mission d'évaluation et de contrôle de la Sécurité sociale (Mecss) puisse étudier les dispositifs existants pour juger de leur mise en place et de leur efficacité. Quel bilan tirez-vous du dispositif existant ? Il existe aujourd'hui un foisonnement et superposition de mesures d'origines diverses et variées, suivant les territoires. Ces mesures sont mises en place soit par l'Etat, l'Assurance maladie, les collectivités territoriales ou même les professionnels de santé. Nous constatons une absence de stratégie globale et de coordination de ces mesures entre les territoires. Aucune évaluation n'a été réalisée sur les premières mesures mises en place. Elles datent pourtant de 2012 avec le premier pacte territoire santé. Cela ne signifie pas que les mesures soient inefficaces. Pour la plupart, nous demandons de les reconduire, de les améliorer voire de les approfondir. Mais la majorité ne répondent pas complétement au sujet de ce qu'on appelle aujourd'hui les déserts médicaux. Si on ne devait retenir qu'une mesure de votre rapport, laquelle choisiriez-vous ? C'est difficile. S'il n'y avait qu'une chose à retenir, je dirais qu'il s'agit de la nécessité de s'adapter et de répondre aux aspirations et aux attentes des jeunes médecins. Concrètement ? Il n'y a pas une seule mesure. Nous le disons dans le rapport, il n'y a pas de mesure miracle, sinon elle aurait été mise en avant par tout le monde. Il faut un ensemble de mesures qui touchent à la fois à la formation. Le premier contact entre l'étudiant en médecine et les territoires en difficulté. Il faut ensuite un mode d'exercice plus souple, améliorer la protection sociale, mettre en place la délégation de tâches, le travail en équipe. Il faut répondre à une demande des jeunes médecins qui est en rupture avec la pratique médicale telle qu'on la connaît depuis plus d'un siècle. Les jeunes médecins ne veulent plus d'un exercice isolé à la campagne. Dans le problème des déserts médicaux, il y a d'abord le problème de l'attractivité des territoires. C'est un point fondamental. Lorsque sur un bassin de vie, il est difficile de faire venir des ingénieurs, des fonctionnaires… il ne faut pas s'étonner qu'il soit aussi difficile d'attirer des jeunes médecins. Il faut donc travailler sur l'attractivité des territoires et il faut aussi répondre à des points spécifiques à l'activité médicale. Il y a aujourd'hui un recul de l'attrait du libéral pour la médecine générale (ce n'est pas le cas pour les autres spécialités). Il faut faire évoluer les pratiques dans l'exercice médical. Les jeunes médecins veulent concilier beaucoup plus vie familiale et professionnelle. L'une de vos premières mesures concerne les ARS, que proposez-vous ? Nous pensons que les ARS peuvent jouer un rôle dans la coordination des mesures. Elles répondent au besoin de mettre autour de la table les différents acteurs locaux concernés. Dans le département de l'Aisne par exemple, il existe aujourd'hui une opération menée par l'ARS et le rectorat qui consiste à sensibiliser les lycéens dès la première à l'exercice médical pour détecter éventuellement celles et ceux qui souhaiteraient s'engager dans ces études, leur faciliter cet accès en les amenant par un système de bourses à revenir dans leur région. Il faut recenser les mesures, voir ce qui fonctionne et l'approfondir. Il faut enlever un certain nombre de rigidité. Il faut assouplir l'organisation des stages et valoriser les maîtres de stage. Il faut faciliter la vie des stagiaires avec un logement par exemple. Le rapport préconise la mise en place d'un guichet unique pour faciliter l'installation des médecins… Le guichet unique était déjà évoqué dans des mesures anciennes mais il ne se réalise pas vraiment. Ce guichet unique doit permettre à tout candidat à l'installation à trouver des informations sur le plan médical mais aussi sur le plan des aides financières. C'est essentiel. Aujourd'hui l'ARS fait peur aux jeunes médecins… C'est vrai les ARS n'ont pas une bonne image. Elles donnent un sentiment de retransmettre des directives très verticales qui prennent leur origine à Paris et qui ne sont pas obligatoirement adaptées à la diversité des conditions d'exercice sur l'ensemble de la France. D'où la nécessité que les ARS puissent être autour de la table en même temps que les professionnels de santé et que les élus. Pensez-vous qu'il faille encore ajouter de l'argent sur la table pour inciter les médecins à s'installer ou les aides existantes sont-elles suffisantes ? Il ne nous est pas apparu que la question financière était déterminante. C'est plutôt la question des conditions d'exercice. Il faut assouplir l'exercice libéral. Il existe aujourd'hui des solutions intermédiaires que l'on appelle médecin collaborateur ou adjoint. Il faut faciliter ces solutions qui permettent d'exercer en libéral sans avoir toutes les contraintes, tout de suite, de l'installation. Il est nécessaire de répondre à la demande des jeunes médecins en matière de délégation de tâches. Il faut également travailler sur le domaine de la protection sociale. Que proposez-vous en ce qui concerne la protection sociale ? Le manque d'attrait pour la médecine libérale tient entre autres à la différence de protection sociale avec les médecins salariés. Il apparait nécessaire de permettre des pratiques mixtes salarié et libéral. Là encore il faut assouplir les conditions en matière de fiscalité. Pour l'exercice libéral, il faudrait aussi apporter des corrections sur la protection sociale, ce qui a déjà été fait en matière de maternité. Il faudrait aussi peut-être réduire le délai de carence. Pour favoriser le cumul emploi/ retraite, vous préconisez la suppression des cotisations retraites… C'est un sujet sur lequel nous avons débattu lors des derniers PLFSS. Je suis intervenu dans le débat de façon favorable à la mesure. Il y avait un accord droite gauche et nous nous sommes heurtés à l'opposition de Marisol Touraine qui était la ministre à l'époque. Je ne comprends pas pourquoi. Pourquoi un médecin retraité qui continue son exercice, ce qui est aujourd'hui souhaitable, doit-il continuer à payer des cotisations retraites qui ne lui rapporteront jamais rien. Il nous semble de bon sens de dispenser du paiement des cotisations retraites les médecins qui continuent à exercer. Le président de la République veut doubler le nombre de maisons de santé, est-ce la solution ? C'est une solution, mais ça n'est pas la seule réponse. Il faut réfléchir aujourd'hui à un travail en réseau des professionnels de santé sur les territoires ruraux pour conjuguer leurs attentes professionnelles, les besoins des patients et le maillage du territoire. Ce réseau ne doit pas se traduire obligatoirement par un local commun. Que va devenir votre rapport ? Nous espérons qu'il ne sera pas vite rangé dans un tiroir mais que certaines mesures seront reprises par les parlementaires en propositions de lois. Le temps est plutôt bon puisque le rapport arrive quelques semaines avant la première loi de financement de la sécurité sociale du nouveau gouvernement. Nous essayons par ailleurs d'obtenir un rendez-vous avec la ministre pour échanger autour de ce rapport d'ici le mois de septembre.
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