"On manque déjà de pharmaciens à tous les étages" : face à la fuite des étudiants, le Doyen des doyens sonne l'alerte
Depuis plusieurs années, des places restent vacantes en filière pharmacie. La faute notamment à la mise en place de la réforme Pass/LAS* en 2020. Une situation que dénonce le Pr Vincent Lisowski, président de la Conférence des doyens des facultés de pharmacie. Il propose la mise en place d'un accès direct via Parcoursup et appelle à supprimer les Pass. "Cette formation est, pour moi, anachronique", lâche le professeur, à la tête de la faculté de pharmacie de Montpellier.
Egora : Vous alertez depuis plusieurs années sur la hausse du nombre de places vacantes en études de pharmacie. De combien d'étudiants la filière manque-t-elle aujourd'hui ?
Pr Vincent Lisowski : Pour la rentrée 2024, en deuxième année de pharmacie en France, il nous manque environ 300 étudiants. Sachant que sur les deux années précédentes, il y avait respectivement environ 500 étudiants manquants l'année dernière, et celle d'avant nous étions à environ 1 000 places vacantes. Ce qui fait au total 1 800 places vacantes sur les trois dernières années.
Ces chiffres font nécessairement craindre une pénurie de pharmaciens dans les prochaines années…
Si on les regarde avec beaucoup de recul, ces chiffres s'améliorent sur ces trois dernières années. C'est quand même une bonne nouvelle, car on a de moins en moins de trous dans la raquette dans nos promotions de deuxième année en pharmacie. Néanmoins, il y a un effet cumulatif qui fait qu'au total il va nous manquer [au moins] 1 800 pharmaciens dans quelques années sur le marché de l'emploi. Les défis démographiques de la filière pharmacie sont pourtant très importants au niveau des officines, des pharmaciens dans les services hospitaliers, dans les laboratoires d'analyses… Nous manquons déjà de pharmaciens à tous les étages.
Au-delà de ces chiffres qui s'améliorent, nous alertons du côté de la Conférence des doyens sur cette fuite progressive qui va avoir des conséquences très importantes, surtout dans une actualité où le pharmacien – notamment en officine - est de plus en plus identifié dans certains territoires comme le dernier professionnel de santé auquel le patient peut avoir recours proche de son domicile.
L'une des principales raisons évoquées pour expliquer ces places vacantes en filière pharmacie est la mise en place de la réforme d'entrée dans les études de santé en 2020. Pourquoi ?
La mise en place de la réforme Pass/LAS* a hiérarchisé les études de santé. De fait, un étudiant peut, en fonction de l'organisation de chaque université, candidater à au moins deux filières de santé ; c'est le texte réglementaire. Mais souvent, il peut aller jusqu'à trois, voire quatre filières, incluant l'odontologie, la maïeutique et la médecine.
La différence par rapport à la Paces, avec laquelle nous étions moins impactés, c'est que ce système était basé sur un concours. Nous pouvions descendre dans les classements "à l'infini" en dessous de 10/20 - en termes de résultats dans l'année. Ce n'est plus le cas maintenant. Nous sommes désormais sur la base d'un examen classant, qui n'est plus un concours. Pour pouvoir prétendre entrer en filière de santé, en tout cas du côté de la Pass, les étudiants doivent avoir validé leur année à au moins 10/20. Sinon, ils ne sont pas éligibles à une candidature pour entrer en filière de santé.
La différence est donc liée à cela, et aussi à la complexité de la réforme. Tout le monde est d'accord pour dire qu'elle est trop complexe. Au bout de quatre ans, elle n'est toujours pas bien comprise par les familles, les lycéens, parfois même par les universitaires... Aujourd'hui, il y a une nécessité de clarifier, rendre plus visible cette réforme pour le public extérieur et faire en sorte, par la même occasion, de répondre aux enjeux démographiques.
"On a des étudiants qui sont les déçus d'une autre filière"
Pour remplir les bancs des facultés de pharmacie, vous proposez la mise en place d'un accès direct à ces études via Parcoursup. Pourquoi cette proposition ? A quoi correspond-elle exactement ?
Nous sommes arrivés à cette proposition, un peu disruptive par rapport à la réforme, parce que d'une part, nous avons ce nombre de places vacantes qui est un véritable challenge. D'autre part, la hiérarchisation des études de santé organisée par la Pass et la LAS fait que notre filière n'est pas toujours choisie en premier vœu. On a une frange de la population des étudiants en deuxième année qui sont les déçus d'une autre filière. Il a beaucoup de difficultés pour nous à les stimuler, à ce qu'ils s'engagent dans ces études en y trouvant leur place et en se sentant bien dans leurs baskets…. On a beaucoup d'étudiants qui nous demandent des passerelles pour tenter de retourner en médecine ou en odontologie.
Cet ensemble de faits nous a conduit à proposer cette solution d'un accès direct sur Parcoursup. Pourquoi ? Parce que lors des journées portes ouvertes dans les facultés de pharmacie, nous rencontrons un certain nombre de lycéens qui nous disent qu'ils veulent venir en pharmacie ; c'est un choix mûri. Mais force est de constater que ces étudiants, on ne les retrouve pas facilement après la "moulinette de la Pass/LAS".
Notre vision est donc de dire que nous avons deux populations d'étudiants : ceux qui savent ce qu'ils veulent faire à la fin de la terminale et, si leur choix c'est la pharmacie, nous voulons qu'ils puissent facilement - sans passer par une sélection douloureuse - cliquer sur un vœu "pharmacie" pour rentrer en première année. Pour les autres, qui ont besoin de mûrir leur projet professionnel, on les laisserait aller en LAS 1, LAS 2 ou LAS 3 pour faire le choix de la pharmacie - s'ils le souhaitent - un petit peu plus tardivement, et venir compléter la promotion que nous aurions recrutée sur Parcoursup.
Vous citez ici la LAS, mais par le parcours Pass. Pourquoi ?
Très honnêtement, nous ne voulons plus de la Pass en pharmacie. La Pass est une formation par le grand nombre, certes qui a des avantages, mais qui, en termes de sélection, reste relativement douloureuse pour les étudiants. C'est une Paces souvent déguisée avec une compétition acharnée, une pédagogie souvent sous la forme de QCM [et] des prépas privées qui organisent une iniquité sociale.
Cette formation est, pour moi, anachronique dans l'évolution des formations à l'université. En pharmacie, nous travaillons plus comme ce qui se fait dans les LAS. Nous souhaitons donc plutôt rester sur un modèle licence, avec la disparition de la Pass et avec cette entrée directe sur Parcoursup sans sélection douloureuse.
"Les enseignants méconnaissent totalement les métiers de la pharmacie"
La filière pharmacie souffre aussi d'un manque de connaissances de la part des lycéens et des étudiants sur la profession, ses spécificités… Au-delà de l'accès direct, quelles solutions proposez-vous pour mieux faire connaître ces études ?
Il y a réellement une méconnaissance. Il faut savoir que nos facultés de pharmacie, avec l'Ordre des pharmaciens et le Leem notamment, mènent déjà des actions de communication nationales et locales dans les salons étudiants, dans les lycées de nos territoires…. Nous allons quasiment toutes les semaines dans différents lycées pour faire ces actions de promotion des métiers de la pharmacie, et donc de ces études. C'est quelque chose qui est enclenché depuis trois ou quatre ans et qu'il faut maintenir.
Il y a quelque chose à améliorer encore : c'est la connaissance de ces métiers de la pharmacie, dans les lycées par les acteurs de l'orientation, que ce soient les médiateurs de l'orientation avec lesquels discutent les lycéens pour réfléchir à la suite de leur parcours. Mais également, les enseignants de sciences - SVT, physique-chimie, mathématiques -, qui sont souvent sollicités par les lycéens et qui méconnaissent totalement les métiers de la pharmacie, et comment on y accède. C'est une acculturation sur laquelle nous souhaitons travailler avec les rectorats et nous avons entamé des discussions à ce sujet.
Concernant le nombre de places vacantes, vous parlez tout de même d'une amélioration. Quelles en sont les raisons ?
Je n'ai pas la prétention de répondre finement et avec certitude à cette question… Mais les raisons de cette amélioration progressive sont liées, selon moi, au fait que les universités qui sous-recrutent [des étudiants en pharmacie] ont mis en place des dispositifs pour essayer de pallier ce sous-recrutement. La diminution de ces chiffres proviendrait [notamment] des adaptations prises par les universités pour faire en sorte d'avoir plus de candidats. Ça ne veut pas dire que ce sont plus de candidats motivés pour la pharmacie…
Et puis, il y a des dispositifs que le ministère a mis en place. On ne peut que le remercier, mais ce sont un peu des patchs sur une jambe de bois qui ne tiendront pas très longtemps. Je vous donne un exemple : nous pouvons recruter via des dispositifs "passerelles" des étudiants de niveau master, doctorat, ingénieur, grandes écoles… On nous a autorisés à faire des listes complémentaires depuis un an pour venir chercher plus d'étudiants de ce côté-là lorsque l'on a des défauts de recrutement en LAS 1 ou en LAS 2, par exemple. Mais ces dérogations vont s'arrêter cette année.
Et que va-t-il se passer les prochaines années ?
Il y a des dérogations qui s'arrêtent cette année et nous font craindre un peu le pire, en plus des annonces d'augmentation du nombre de médecins formés. Celles-ci nous mettent en difficulté. Si on devait former beaucoup plus de médecins, passer à 16 000 [carabins formés] comme l'a annoncé le Premier ministre précédent, cela va faire un appel d'air qui va siphonner encore plus de places dans les autres filières de santé comme la nôtre. On n'est pas sereins et, pour nous, le système n'est pas stable pour la pharmacie. C'est la raison pour laquelle nous proposons une alternative [l'accès direct] qui ne nous paraît pas dramatique.
L'un des autres dossiers brûlants de la filière est celui de la réforme du troisième cycle des études de pharmacie (R3C). Elle est sur le tapis depuis des années. Où en sont ces discussions ? Va-t-elle finir par voir le jour ?
La R3C a commencé en pharmacie pour les DES, les diplômes d'études spécialisées longs de quatre ans en "pharmacie hospitalière" et en "biologie médicale", avec la réforme de 2019 [et celle de 2017]. Ces deux DES fonctionnent parfaitement bien, même si on manque également d'étudiants et d'internes. Néanmoins, on est toujours en souffrance - si je peux utiliser ce terme – concernant les arbitrages finals sur nos DES courts "officine" et "industrie/recherche".
Cela fait sept ou huit ans maintenant que ces deux DES ne sont pas arbitrés. En 2022, Olivier Véran, ministre de la Santé de l'époque, avait arbitré en faveur de l'existence de ces deux DES courts. Ça a été repris par les différents ministres de la Santé depuis, et confirmé récemment par Sylvie Retailleau [ex-ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche]. Mais les négociations ont été stoppées en mai dernier, avec notamment le ministère de la Santé et la DGOS, en lien avec le contexte politique. En mai, nous étions arrivés à un accord final, et nous avions convenu de signer et d'arbitrer définitivement le lancement de cette réforme pour la rentrée 2025. Tout a été figé.
Donc, où en sommes-nous aujourd'hui ? Côté Conférence des doyens de pharmacie et étudiants avec l'ANEPF [Association nationale des étudiants en pharmacie de France], nous sommes alignés sur ce sujet et avons relancé les services de l'État pour demander à finaliser cette réforme dans les prochaines semaines, si les engagements qui ont été pris par l'État sont toujours sur la table.
On est donc tous d'accord pour y aller, maintenant il nous faut un "go" définitif. Nous avons rendez-vous fin octobre/début novembre avec les services de l'Etat, en espérant ne pas avoir de mauvaises nouvelles du côté budgétaire.
*Le Parcours d'accès spécifique santé (Pass) ; la Licence "accès santé" (LAS).
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