Fin de vie : les médecins généralistes disposent-ils des bons outils ?

07/02/2020 Par Véronique Hunsinger
Ethique
La Haute Autorité de santé devrait publier de manière imminente de nouvelles recommandations de bonnes pratiques sur la prise en charge médicamenteuse antalgique en fin de vie. Un texte très attendu alors que la mise en examen d’un généraliste normand, qui avait utilisé du midazolam au domicile de plusieurs patients, crée une vive émotion depuis plusieurs semaines.

  La mise en examen et l’interdiction d’exercice du Dr Jean Méheut, à qui la justice reproche d’avoir administré à ses patients du mi­dazolam qu’il se serait fourni de manière irrégulière, ont large­ment ému la profession. Publié sur notre site egora.fr début janvier, le ma­nifeste de soutien – le manifeste des 343 mé­decins –, à l’initiative des Drs Jean-Paul Hamon et Claude Bronner (FMF), a reçu le renfort de 1 088 signatures. Une affaire qui intervient alors que la Haute Autorité de santé (HAS) devrait publier, de manière dé­sormais imminente, des recommandations de bonnes pratiques sur la prise en charge médicamenteuse, de l’antalgie en situation palliative avancée à la sédation profonde continue. Et qui devraient notamment per­mettre de clarifier la prise en charge de la fin de vie par les médecins généralistes et de faciliter la mise en place d’une sédation pro­fonde et continue au domicile. Celle-ci est théoriquement autorisée par la loi Leonetti sur la fin de vie (février 2016), d’autant que ces situations requièrent parfois l’utilisation de médicaments hors indication d’autori­sation de mise sur le marché (AMM), dont justement le midazolam. Certes, les situations de fin de vie com­pliquées au domicile sont relativement rares. " Pour le généraliste, le décès à domi­cile concerne entre un et trois patients par an. Parmi eux, seuls un ou deux auront besoin de soins palliatifs et peut-être un seul nécessitera une sédation ", expliquait le Dr Jean-Claude Darrieux, médecin généraliste enseignant à l’université de Versailles-Saint-Quentin et président de la fondation Pallium, lors du 13e Congrès de la médecine générale en avril dernier. Il reste que le souhait de mourir à domicile plutôt qu’à l’hôpital est largement exprimé par les patients, indique l’Observa­toire national de la fin de vie.

  Pour ou contre le midazolam en ville ? D’ailleurs, l’un des enjeux de la recomman­dation attendue de la HAS est de savoir si le midazolam pourra être délivré en phar­macie de ville et non plus uniquement sur rétrocession hospitalière, comme c’est le cas aujourd’hui. La réponse de la ministre de la Santé à l’URPS médecins de Normandie ainsi qu’au Syndicat des médecins libéraux (SML), qui l’avaient interpellée, semble plutôt ouverte. Agnès Buzyn y indique no­tamment souhaiter que des " travaux soient menés de manière urgente par ses services pour encadrer, sécuriser et garantir l’accès des patients en ambulatoire aux spécialités prescrites hors AMM utilisées dans la séda­tion profonde et continue "(2). Mais les avis des spécialistes divergent. " Le médecin généraliste n’est pas souvent confronté...

à la fin de vie de ses patients, es­time un ancien médecin réanimateur dans l’Essonne. Mais quand cela se produit, il ne peut ni ne doit pratiquer seul. C’est possible dans le cas d’une hospitalisation à domicile (HAD) en liaison avec une équipe de soins palliatifs (mobile ou non). Et seulement dans ce cas, l’utilisation de produits sédatifs, y compris le midazolam, est envisageable. Ce­pendant, son utilisation est difficile car elle nécessite une perfusion continue sur pompe avec un abord veineux fiable et sécurisé. De plus, l’arrêt de l’administration expose à des réveils brutaux et catastrophiques dans le contexte espéré. " Sur egora.fr, ce généraliste en Ille-et-Vilaine souligne néanmoins un vrai paradoxe : " Quand je travaille au centre d’IVG, j’ai le droit d’utiliser le midazolam, écrit-il. Quand j’ai été coordonnateur HAD, j’avais le droit d’utiliser le midazolam. Quand j’ai fait des remplacements en service de soins palliatifs, j’ai été autorisé à utiliser le midazo­lam. Quand j’ai été coordinateur en Ehpad, j’avais éventuellement le droit d’utiliser le midazolam. Quand je suis généraliste, je n’ai pas le droit d’utiliser le midazolam. Dans tous les cas, je suis le même médecin. "

Un point de vue partagé par plusieurs ex­perts de la fin de vie, à l’exemple du Dr Véro­nique Fournier, présidente du Centre natio­nal des soins palliatifs et de la fin de vie (voir p. ci-contre), ou du Pr Didier Sicard, ancien président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) qui, dans une tribune publiée au journal Le Monde le 15 janvier, estime que " refuser d’étendre aux médecins généralistes l’emploi du midazolam est d’une grande hypocrisie ". Il reste que, dans les faits, les demandes de rétrocession hospita­lière de midazolam sont très rares, certaines pharmacies à usage intérieur refuseraient même de le faire. À l’hôpital Trousseau du CHRU de Tours, le Dr Xavier Pourrat, pharmacien praticien hospitalier, ne se souvient pas avoir été saisi d’une demande pour ce pro­duit : " Ce médicament est très utilisé à l’hô­pital en fin de vie, en plus de la morphine : à petites doses pour provoquer une relaxation si le patient est anxieux, et à doses plus im­portantes en cas de nécessité de sédation, rappelle le vice-président de la Société française de pharmacie clinique (SFPC). C’est pour cela que son usage doit être très contrôlé. Au domicile, c’est un produit com­pliqué à gérer car il nécessite d’avoir une pompe et plusieurs passages infirmiers dans la journée. C’est pourquoi, notamment pour des questions d’organisation, les structures de HAD sont plus à même de l’utiliser ainsi que les équipes mobiles de soins palliatifs en lien avec les médecins traitants. " Agnès Buzyn ne dit pas autre chose dans son courrier : " La prise en charge au sein d’un établissement de HAD offre, à ce jour, un cadre sécurisé en matière de circuit du médicament et d’organisation de la décision collégiale. " Selon la Fédération nationale des établis­sements d’hospitalisation à domicile (Fne­had) qui revendique de couvrir l’ensemble du territoire, la prise en charge de la fin de vie représente entre un tiers et 40 % des séjours. " Le midazolam n’est pas un produit d’usage courant en médecine générale, martèle le Dr Élisabeth Hubert, sa présidente. En tant qu’ancienne généraliste, je suis la première à dire que ce n’est pas dans l’intérêt des médecins que ce produit puisse être utilisé par un prati­cien isolé au domicile. Nous y sommes même opposés. J’en ai déjà parlé à plusieurs méde­cins, qui estiment avoir besoin d’un accompa­gnement pour les produits de la fin de vie que sont les morphiniques ou, à plus forte raison, des produits contre la douleur ou l’anxiété qui sont d’usage hospitalier, car ayant des inci­dences pouvant être rapidement péjoratives. "   Mis sur la touche Bien que la HAD ne puisse intervenir que sur prescription médicale et avec l’accord du médecin traitant, bon nombre de géné­ralistes regrettent d’être mis sur la touche...

" La HAD n’est pas un circuit fermé par rapport au généraliste, se défend Élisabeth Hubert. C’est même l’une de ses caractéris­tiques que de ne pouvoir intervenir qu’avec l’accord du médecin traitant, qui reste maître des prescriptions. L’immense avantage de ce type de prise en charge en fin de vie est de permettre une pratique sécurisée et une col­légialité entre les praticiens, qui est d’autant plus indispensable quand il peut s’agir de de­voir mettre en place une sédation profonde et continue en application de la loi Leonetti. "

L’autre avantage est l’existence d’une astreinte 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 en HAD. " Nous développons aussi le principe des prescriptions anticipées qui permettent aux infirmières de soulager rapidement les patients en cas de besoin ", ajoute la prési­dente de la Fnehad. Une pratique aussi mise en avant par les réseaux de soins palliatifs. Marie-Claude Daydé est infirmière libérale près de Toulouse et membre de l’équipe d’appui du réseau Rélience, dédié aux soins palliatifs ainsi qu’aux douleurs et maladies chroniques en Haute-Garonne. "Toute personne peut solliciter le réseau, mais il faut toujours l’accord du médecin traitant, qui reste le prescripteur, explique-t-elle. Les médecins du réseau interviennent en conseil, soutien et appui des professionnels du domi­cile pour des situations complexes, notam­ment en fin de vie quand des difficultés par­ticulières se présentent. En effet, les réseaux sont composés de médecins, d’infirmières, de psychologues et d’assistantes sociales. Quand un médecin sollicite un réseau, celui-ci va ef­fectuer une première instruction du dossier patient et proposer une visite conjointe au domicile pour évaluer la situation sur le plan médical, paramédical et psychosocial. Quand il y a des problématiques douloureuses com­plexes, l’appui d’un réseau peut s’avérer très utile, notamment au travers de prescriptions anticipées, qui permettent aux infirmières libérales d’intervenir rapidement quand des symptômes surviennent, en particulier dans les endroits où les généralistes ne font plus de visites à domicile tous les jours. " Pour autant, l’administration de midazo­lam pour apaiser le patient, voire mettre en place une sédation profonde et continue, reste très difficile à mettre en place, même avec l’aide d’un réseau, car la plupart d’entre eux ne disposent pas ou plus d’un système d’astreinte, faute de financement suffisant. L’affaire du médecin normand met au­jourd’hui en lumière que, malgré l’adop­tion plutôt consensuelle de la loi Leonetti de 2016 et la mise en place du plan national 2015-2018 pour le développement des soins palliatifs et de l’accompagnement de fin de vie, toutes les questions sont loin d’avoir été épuisées. La construction d’un nouveau plan de développement des soins palliatifs promis par la ministre est d’autant plus at­tendue que de nouvelles voix se font déjà entendre en faveur d’un débat sur " l’aide active à mourir ".

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