"Allô docteur, c’est pour votre DPC…" : enquête sur le business de la formation des médecins

21/11/2023 Par Mathieu Plessis

Le démarchage téléphonique irrite plus d’un médecin. Mais s’il n’était qu’un symptôme ? Celui de l’ouverture à la concurrence du secteur de la formation médicale continue. Sur le marché du développement professionnel continu (DPC), certains organismes prospectent pour prospérer. Mais l’éthique est parfois aux abonnés absents.   Le démarchage téléphonique intempestif pour leur vendre des actions de développement professionnel continu (DPC), tous les médecins interrogés pour cette enquête disent en avoir fait l’expérience. Tous, sauf un – il vient de s’installer…Ce qui met sur les nerfs ? La fréquence élevée des appels, le moment (en pleine consultation), l’appareil visé (possiblement le portable), la teneur des messages. «Je suis sans cesse harcelé par des représentants de commerce (appelons un chat un chat) qui proposent des formations», s’insurgeait par exemple un médecin sur egora.fr, à l’été 2022. Certaines propositions sont trop belles pour être honnêtes, se réclamant d’une instance supérieure (l’Agence nationale du DPC ou tel Ordre professionnel), invoquant un improbable monopole de formation lié au processus embryonnaire de certification périodique, ou faisant miroiter une indemnisation de sept heures pour une formation qui en durera trois fois moins. «Un organisme m’a inscrit de force à une formation pédiatrique alors que je me suis appliqué à lui expliquer que je ne voyais plus d’enfant en consultation !», poursuit le même médecin. À l’autre bout du spectre, il y a en effet la contrainte, l’intimidation ou la menace, avec une hypothétique urgence à valider l’obligation de formation, la prétendue nécessité de dévoiler les codes d’accès de son compte DPC ou dans un cas (actuellement entre les mains de la justice) l’insulte et la rédaction de commentaires négatifs sur internet contre des professionnels de santé réticents à accepter une offre… Le phénomène, sous-déclaré, est certainement répandu et ne touche pas que les médecins. Il est le motif de la plupart des quelque 2 000 signalements adressés chaque année par les professionnels de santé à l’ANDPC. Qui s’est fendue, fin août 2023, d’un courrier à la Cnil pour lui rapporter les pratiques « déviantes » de dix organismes. Au démarchage mercantile, trompeur et parfois agressif, s’ajoutent d’autres reproches : inscription des professionnels de santé après forçage de leurs codes, pour percevoir un financement de l’ANDPC sans que ces derniers n’aient suivi les actions ; demandes de désinscription à des actions non souhaitées par les professionnels mais non suivies d’effet par l’organisme ; création d’un compte avec une erreur d’identifiant, le professionnel ne pouvant pas retourner sur son compte ni demander un nouveau mot de passe. En septembre, la Cnil nous a dit instruire ce signalement inédit. Que risquent les organismes en cause ? D’abord des avis exaspérés publiés en ligne par des professionnels de santé, qui se plaignent par exemple des « spams » téléphoniques incessants. Certaines structures répondent à cette mauvaise publicité, reconnaissent les faits, s’excusent pour ce « malentendu », déclarent avoir pris en compte la demande, diligenté une enquête interne, modifié leurs procédures et sanctionné le collaborateur fâcheux. Ce qui n’empêche pas toujours, quelque temps plus tard, la publication d’un nouvel avis tout aussi cinglant d’un autre professionnel de santé sur le même organisme…

  Incendiaires et « margoulins » En 2018, l’ANDPC a publié une charte éthique pour encadrer notamment les pratiques des organismes de formation, parmi lesquelles le démarchage commercial. Ce document leur rappelle l’interdiction de concurrence déloyale ou de pratiques anticoncurrentielles. L’agence indique avoir rappelé à l’ordre certains organismes, et en avoir désenregistré une poignée. Comme Chen Formation qui, en 2019, avait préinscrite à des formations 17 000 médecins sans leur consentement, après avoir récupéré leur numéro RPPS. Il y a un an et demi, un autre organisme a, lui, inscrit de force 800 professionnels en modifiant leur statut de salarié à libéral. L’ANDPC dit avoir déposé plainte. La difficulté avec le démarchage téléphonique, c’est qu’il est légal, sous certaines conditions (voir ci-contre). Fin 2022, à l’Assemblée nationale, des députés ont essayé d’étendre à tous les secteurs son interdiction dans le démarchage au CPF, le compte de formation des actifs. Delphine Batho (Génération Écologie) a ainsi plaidé : « Plutôt que de multiplier les interdictions sectorielles et empiriques destinées à éteindre un à un les incendies allumés par le harcèlement commercial dans plusieurs domaines successifs, le législateur devrait prononcer le principe du droit à la tranquillité pour tous, c’est-à-dire l’interdiction de la prospection commerciale par téléphone dans tous les domaines sans consentement exprès du consommateur. » L’argument a été salué, mais rejeté. Une des raisons est économique, se souvient le Dr Thomas Mesnier, alors député (Horizons), l’un des trois parlementaires à avoir porté la proposition de loi : « Derrière le démarchage, il y a des boîtes et des emplois. » Les emplois, ce sont d’abord ceux des démarcheurs eux-mêmes. Pour le DPC, il s’agit sans doute souvent d’indépendants sollicités par les organismes de formation ou recrutés en interne, et non d’équipes en centres d’appel...

C’est l’hypothèse de Caroline Adam, déléguée générale du SP2C, un syndicat patronal des centres de contact, qui évoque l’existence de démarcheurs peu au fait de la législation et de « margoulins ». Quand il est sous-traité, le démarchage téléphonique est de la responsabilité de l’organisme qui le commande, rappelle l’ANDPC. « Quand nous leur écrivons, confie Michèle Lenoir-Salfati, sa directrice générale, certains organismes nous disent qu’ils vont immédiatement suspendre leur prestataire. C’est un discours très bien huilé. Nous ne sommes pas dupes, les prestataires ont une vision très claire de ce qu’ils doivent faire. »   Marché fragmenté En recourant à la prospection en général, les organismes de DPC espèrent se faire connaître, se démarquer, faire des profits peut-être, survivre sûrement. Surtout dans un marché aussi fragmenté, qui comptait mi-2023 plus de 2 800 organismes enregistrés auprès de l’ANDPC, toutes professions de santé confondues. Certes, beaucoup sont enregistrés « au cas où », comme le dit Michèle Lenoir-Salfati. Moins de la moitié dépose des actions, dont un peu plus d’un tiers a des inscrits. Certains proposent un large éventail de thématiques, d’autres se sont spécialisés. « Un organisme qui ne fait pas connaître sa formation n’aura aucun inscrit, estime Michèle Lenoir-Salfati. La question, c’est de savoir où s’arrête la promotion et où commence le harcèlement. » D’ailleurs, la prospection, ça peut marcher. « En consultation, un médecin a quatorze minutes pour résoudre une situation nouvelle. Il raisonne un peu de la même manière pour trouver une formation, le temps d’un entretien téléphonique. S’il n’a pas le temps de se pencher sur son DPC, il peut accepter pour avoir la paix », explique Jean-Claude Soulary, conseiller national à MG France. Quels organismes pratiquent le démarchage téléphonique ? Nous avons posé la question à un panel d’organismes – nous en avons contacté sept, cinq ont donné suite. Pour MG Form, l’un des organismes dits historiques de la formation médicale continue, la promotion se fait sur les réseaux sociaux ou par newsletter, dévoile Gwenaëlle Derrien, sa présidente. Et chaque magazine du syndicat MG France comporte un encart pour MG Form. Démarche similaire chez A2FM, selon Patricia Lefébure, ex-présidente de cet organisme formateur, devenue présidente de la FMF, le syndicat auquel il est adossé : les offres de formation sont communiquées par mailings. Selon ces deux généralistes, ce sont plutôt des concurrents commerciaux qui sont coutumiers de la prospection téléphonique. La société privée Santé Académie assure, elle, que son équipe interne de relation client ne contacte que les professionnels qui l’ont demandé. Elle privilégie une communication « non invasive », nouant des partenariats pour que ses formations apparaissent dans des médias et des logi-ciels métiers. Et publie sur les réseaux sociaux des extraits des vidéos de formation, et en ligne des ressources gratuites à télécharger, recourant aux « codes du numérique », selon Stanislas de Zutter, un de ses fondateurs. L’association Coridys Var ne fait pas non plus de démarchage téléphonique, qui serait en contradiction avec son statut associatif à but non lucratif, précise Virginie Mattio, sa directrice. Elle compte notamment sur la communication de l’ANDPC sur sa formation au repérage et à la prise en charge précoce des enfants présentant un trouble du neurodéveloppement, pour laquelle elle a remporté un appel d’offres de l’agence en 2022. Aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg, enfin, le service formation gère les actions des 12 000 agents médicaux et non médicaux. En tant qu’organisme de formation, le CHU communique par un catalogue en ligne qui ne présente que les formations ouvertes à l’extérieur, indique Véronique Brunstein, responsable du service. Celles éligibles au DPC, peu nombreuses, n’y sont pas identifiables d’un coup d’œil. La poignée de structures pour lesquelles nous avons eu vent d’un démarchage téléphonique déplaisant sont de statut commercial. Elles figurent plutôt en haut du classement 2022 des organismes en termes de montants engagés par l’ANDPC. Les dix premières places de ce palmarès sont occupées par huit sociétés commerciales, la première étant Eduprat Formations, avec 10,6 millions d’euros de montants engagés par l’ANDPC, plus que l’addition de Graad et Learnylib, autres sociétés commerciales qui complètent le podium. Le statut commercial représente un gros tiers des organismes de DPC, devant les associations (un petit tiers), moins d’un sur cinq étant un établissement de santé ou médico-social, et 1 sur 10 un travailleur indépendant. Qu’il semble loin, le temps où la formation médicale continue, devenue obligatoire en 1996, était majoritairement le fait de structures locales ou d’initiatives nationales, animées par des professionnels de santé, des universitaires ou des militants. Loin aussi, ce temps où c’était essentiellement la profession qui gérait le dispositif. Aujourd’hui, les organismes plus anciens sont toujours là, parmi lesquels les associations Chem (6e du classement, 3,5 millions d’euros), CNGE Formation (10e, 3,1 millions) ou MG Form (22e, 1,5 million). Mais les structures sont hétéroclites, au niveau de la taille et du statut de leurs effectifs, de leurs moyens, de leurs buts, de leurs activités. Par exemple, à notre connaissance, seize organismes de formation enregistrés auprès de l’ANDPC sont rattachés à cinq structures également propriétaires de titres de presse. C’est le cas notamment de Global Média Santé (18e, 1,8 million d’euros), éditeur d’egora-Le Panorama du médecin et de La Revue du Praticien, l’un des sept organismes de formation estampillées DPC appartenant au groupe SFP Expansion.

  Péril sur l’indemnisation du « e-learning » ? Les préoccupations économiques ont-elles d’autres manifestations que le recours au démarchage téléphonique ? Possible. Ainsi, depuis la revalorisation de la tarification pour les actions d’évaluation des pratiques et de gestion des risques, des organismes demandent à être enregistrés sur ces formats. « L’un d’eux, à qui nous avions refusé un tel enregistrement, nous a écrit, en substance : “Pourquoi m’empêchez-vous de gagner plus d’argent ?” Tout simplement parce qu’il n’avait pas d’expérience significative sur ces formats », confie Michèle Lenoir-Salfati. Des acteurs dénoncent aussi l’appétence de certains pour le distanciel sous le prétexte (inavoué) d’un coût moindre et d’une rentabilisation accélérée, au prix de contenus médiocres. Stanislas de Zutter, lui, refait le film : des vidéos au rabais ou des fichiers informatiques rudimentaires étaient certes vendus comme des programmes de e-learning il y a une dizaine d’années, mais les temps ont changé. Le responsable de Santé Académie (19e en 2022, 1,8 million d’euros), qui mise sur les formations « en digital », jusque-là peu développées selon lui, dépeint « deux modèles économiques très différents ». En présentiel, il y a des frais liés à l’intervenant et la location de salle, et la formation est censée être rentable dès le premier jour. Alors que « l’investissement de départ pour une vidéo de qualité cinématographique peut atteindre rapidement plusieurs dizaines de milliers d’euros. Notre statut privé permet de lever des fonds et de faire des investissements importants ». Par la suite, il s’agit surtout de coûts de maintenance informatique et d’accompagnement des apprenants. L’avantage, c’est de pouvoir proposer la formation au plus grand nombre, dans toute la France. Parmi les dix premiers organismes de DPC en 2022, cinq proposaient des actions exclusivement non présentielles, relève l’ANDPC. Une part trois fois plus importante chez les organismes privés que les associatifs. Michèle Lenoir-Salfati reconnaît que les critères de l’ANDPC pour le e-learning sont encore flous, n’interdisant pas réellement de présenter une simple vidéo précédée de questions sommaires suivies de réponses basiques...« Mais ce n’est pas cela qu’on attend d’un DPC. » Elle critique plus globalement le contenu « scientifiquement faible » de certaines actions. Et annonce un travail scientifique, au sein de l’agence, pour définir des critères qualité pour le e-learning et pour les actions, en développement, de micro-learning, d’une durée de moins de sept heures. Elle estime « très avantageuse » pour les organismes la tarification horaire du e-learning et souhaiterait faire disparaître son indemnisation pour les professionnels... puisque ce format impose, selon elle, moins de contraintes que le présentiel. En fait, plusieurs facteurs jouent sur l’offre : les décisions de l’ANDPC en termes de thématiques et de prix, la stratégie des organismes mais aussi les souhaits des apprenants. Ainsi, si l’offre des organismes reste majoritairement présentielle, depuis 2016, les professionnels de santé se montrent de plus en plus attirés par les actions distancielles. «Notamment à cause d’un effet Covid, il y a moins de personnes en présentiel, note Jean-Claude Soulary. On peut compter 12 à 15 inscrits là où il en fallait 25 ou 30 pour la rentabilité de la formation. Les coûts pédagogiques sont devenus trop importants et moins d’experts sont invités à intervenir. Se sont aussi développés des formats plus courts ou adaptés pour tenir l’enveloppe de l’agence. Mais les coûts fixes sont toujours là. Au final, il faut faire trois fois plus de formations pour avoir les mêmes recettes.» De nombreux organismes de formation seraient à la peine économiquement, ou s’en plaignent.   « Trop loin dans la directive Bolkestein » Des digues ont été érigées. Aujourd’hui, les organismes doivent justifier auprès de l’ANDPC un voyage à l’étranger (événement scientifique international, étude de problématiques transnationales de santé…). Finies, les virées sous les tropiques comme argument promotionnel d’une action de DPC. Davantage transparent aussi, en principe, le lien des organismes avec les firmes pharmaceutiques : celles-ci doivent rendre publiques leurs conventions avec les organismes, et les formateurs déclarer leurs liens d’intérêts et parler des médicaments en dénomination commune internationale (DCI). Dernier exemple : l’instauration de règles de gestion des liens d’intérêts pour les membres des instances de l’ANDPC issus de la direction ou du conseil scientifique d’organismes de formation. De quoi notamment tordre le cou aux interrogations, formulées par l’Igas en 2014 et le Sénat cet été, quant aux effets sur le dispositif que pourraient avoir les liens forts entre des organismes de formation et des syndicats de professionnels ? Jean-Claude Soulary, ancien président de MG Form et représentant de MG France à la section professionnelle médecins de l’ANDPC, l’affirme. Plus largement, l’agence assure avoir relevé son niveau d’exigence pour l’enregistrement des organismes, et resserré les fiches de cadrage délimitant leurs propositions de formation. Mais souligne qu’elle n’est pas un organisme de contrôle, n’a pas de réel moyen de pression, et « travaille sous contrainte budgétaire », note sa directrice générale. Par exemple, il est difficile, si elle n’est pas signalée par des professionnels de santé, de débusquer une action d’une durée réelle plus courte que celle déclarée par l’organisme et validée par l’agence. Il est aussi ardu d’y voir clair dans les comptes des organismes et de comparer les coûts d’une formation à l’autre, en raison de la variété des thématiques, des formats, des rémunérations des intervenants ou de leurs frais de déplacement. En 2019, la Cour des comptes avait jugé surévalués les coûts de formation, hérités des tarifs de la formation médicale conventionnelle alors négociés entre l’Assurance maladie et les syndicats. Dans un article paru en 2021*, Carine Catelin et Rajaa Roybier-Mtanios, maîtresses de conférences en science de gestion à l’université de Bourgogne, jugeaient « très difficile de pouvoir démontrer que l’argent dépensé l’est bien au profit de la pédagogie et de l’évolution des pratiques ».« Nous avons tenté de faire une étude de coûts pour savoir si nous payions trop ou pas assez. Les organismes n’ont pas du tout joué le jeu », regrette Michèle Lenoir-Salfati. Finalement, y a-t-il trop d’organismes ? « Difficile de concilier le maintien de l’émiettement actuel de l’offre (…) et l’ambition de poser des exigences de qualité élevées», relevait l’Igas en 2008. À cette époque, seuls 215 organismes étaient agréés DPC, treize fois moins qu’aujourd’hui. Michèle Lenoir- Salfati opine : «L’enregistrement ANDPC tel qu’il existe n’est pas un vrai label. Je plaide pour qu’il soit accompagné de critères plus solides, et limité à cinq ou six ans.» Les appels d’offres lancés sur certaines thématiques visaient, entre autres objectifs, à rehausser le niveau de qualité des formations. Mais ils n’ont pas marché et l’ANDPC annonce leur abandon. «Nous sommes allés trop loin dans l’application de la directive Bolkestein», constate Michèle Lenoir-Salfati. Cette directive européenne de 2006 visait à supprimer les obstacles au commerce de services. Les soins et la santé en ont été exclus, mais pas ce qui est devenu le DPC à la française, comme l’a analysé l’Igas en 2014. En 2012, date de création de l’OGDPC, prédécesseur de l’actuelle ANDPC, 242 organismes de DPC étaient enregistrés. Ils étaient 2 049 un an plus tard. Il est probable que certains se soient engouffrés dans le secteur avec en ligne de mire la manne d’argent public – celui de l’Assurance maladie. Ou, pour le dire comme Michèle Lenoir-Salfati, «des organismes semblent davantage motivés par le profit que par la formation». En 2022, le montant partagé entre organismes du DPC s’est élevé à 136,8 millions d’euros. Dans ce contexte, le démarchage téléphonique peut s’interpréter comme la partie la plus visible, pour les professionnels de santé, de la mise en concurrence de leurs organismes de formation continue.   Courants contraires Pour les organismes, les règles pour s’enregistrer ou déposer des formations se complexifient d’une année sur l’autre. La plupart de ceux que nous avons interrogés, quel que soit leur statut, en attestent. Certains se plaignent de changement sans explication, et plus globalement d’un manque de communication de l’ANDPC. « Sur quoi repose le fait que le concepteur d’une formation doive désormais être un expert (un diabétologue pour une formation sur le diabète, par exemple), ce qui n’en fait pas forcément le mieux à même d’adapter la pédagogie à des généralistes ? », lance Gwenaëlle Derrien.  Ce sont les commissions scientifiques de l’ANDPC qui l’ont demandé, répond Michèle Lenoir-Salfati. Ce qui n’empêche pas d’avoir une équipe de deux concepteurs incluant un médecin généraliste.» Le changement de règles se fait aussi parfois à l’avantage des organismes ou des professionnels. Exemple : l’ANDPC verse désormais les frais pédagogiques et les indemnités selon le nombre d’heures effectivement réalisées. Avant 2023, l’organisme n’était pas du tout payé si un professionnel n’avait assisté qu’à une journée de formation sur les deux prévues... Dans ce nouvel univers sous contrainte administrative et financière, des ressources ou compétences spécifiques s’avèrent nécessaires, comme en témoigne l’association Coridys Var, qui a remporté l’appel d’offres sur le repérage et la prise en charge précoce des enfants présentant un trouble du neurodéveloppement. « Répondre à un tel appel, nous l’avions déjà fait. Une association vit en partie sur la réponse à ces appels. Nous avons une chargée de projet… et aussi un comptable, sourit Virginie Mattio. Pour ma part, je n’ai plus mon activité clinique de neuropsychologue, je passe mon temps à répondre aux appels à projets et à rendre des comptes aux financeurs. » « Savoir déposer une action, c’est comprendre ce que cherche à mettre en place l’ANDPC dans ses orientations prioritaires. Il n’y a pas de science magique, mais il faut du temps pour se plonger dans les dimensions médicale, scientifique, pédagogique et administrative des dossiers », relèvent Stanislas de Zutter et Sabine Moine, directrice pédagogique de Santé Académie. Au final, une impression se dégage, celle d’un secteur du DPC traversé de courants contraires. Les formations aux objectifs, méthodes et contenu clairement annoncés et réellement assurés côtoient des offres trompeuses. Des intérêts privés, dont il faudrait respecter la liberté, rencontrent de l’argent public, dont il faut contrôler la dépense. Des jeunes pousses de la French Tech croisent des nostalgiques du catalogue de formation papier. Un marché concurrentiel se frotte à une agence qui entend, sur les plans administratif et scientifique, cadrer l’activité des organismes avant de leur ouvrir la porte, mais n’a que peu de contrôle sur certaines dérives. Pour certaines structures, le serrage de boulons de l’ANDPC est un signe positif de rigueur et de structuration d’un secteur assez récent. Pour d’autres, il s’agit davantage d’un serrage de vis. Loin d’un temps où le fait-maison, inventif ou bricoleur, pouvait plus facilement l’emporter sur les tableaux à double entrée et le respect des points-virgules. Un temps où, une chose est sûre, il n’y avait pas autant de démarchage téléphonique.   * « Responsabilité sociale des organisations (RSO) et New Public Management (NPM) : logiques contradictoires ou complémentaires dans une organisation publique ? Le cas du développement professionnel continu (DPC) dans les professions de santé », Carine Catelin et Rajaa Roybier-Mtanios, Revue du gestionnaire public, 2021.  

Comment soigner l’irritation liée au démarchage ?
« Une fois, j’ai demandé son nom au commercial qui m’appelait, il n’a pas voulu me le donner. Je lui ai demandé où il avait récupéré mon numéro, il a refusé de me répondre », témoigne Gwenaëlle Derrien, démarchée en tant que médecin généraliste. Selon la Cnil, les démarcheurs peuvent obtenir les coordonnées de leurs « cibles » auprès de partenaires commerciaux, et notamment d’autres sociétés de formation, auprès de courtiers en données (« data brokers ») ou par des sources publiquement accessibles en ligne (annuaires publics ou spécialisés, profil sur des réseaux sociaux professionnels…). Dans ce dernier cas, le démarcheur doit s’assurer que son « prospect » peut raisonnablement s’attendre à la collecte de ses données. S’ils affichent leurs coordonnées sur leur propre site internet, les professionnels de santé devraient indiquer, notamment à l’éditeur du site, qu’ils ne souhaitent pas qu’elles soient utilisées pour du démarchage téléphonique, conseille la Cnil.
« La prospection commerciale non sollicitée fait partie des irritants du quotidien », estime la Cnil. La publicité par voie téléphonique (hors automates d’appels et SMS) est toutefois possible à condition que les personnes soient informées de l’utilisation de leurs données à des fins de démarchage, et en mesure de s’y opposer de façon simple et gratuite. Comme à chaque appel reçu, confirme l’article 21 du RGPD. L’organisme appelant doit en tenir compte. Si ces droits ne sont pas respectés, les professionnels peuvent le signaler à la Cnil. Mais inutile de s’inscrire sur Bloctel : ce dispositif ne fonctionne que pour les consommateurs, et assez mal…De son côté, l’ANDPC assure qu’elle n’appelle pas pour promouvoir une action. Et ne livre aux démarcheurs aucune coordonnée de professionnels de santé. Depuis 2020, elle ne transmet plus aucun élément d’identification personnelle des inscritsaux organismes de formation. Elle conseille aux professionnels de prendre le temps de la réflexion avant d’accepter une proposition. Et de refuser toute demande de confirmation à une formation non sollicitée, en la refusant immédiatement dans le courriel reçu, encliquant « non » depuis son compte personnel sur le site www.mondpc.fr et en signalant la situation via le site de l’ANDPC. « Il ne faut pas donner à un démarcheur ses identifiant et mot de passe, ce serait comme donner son numéro de carte bancaire. Là, juridiquement, l’ANDPC ne peut plus rien faire », met en garde Michèle Lenoir-Salfati, sa directrice générale. Qui livre aussi un autre conseil, plus basique : « Laisser sonner ou raccrocher. »

 

Les thématiques du DPC en question
Les professionnels formulent également contre le DPC un autre grief : le choix des thématiques de formation, définies tous les trois ans dans des « orientations prioritaires » des autorités de santé et des professions de santé, et précisées dans 700 pages de « fiches de cadrage » de l’ANDPC.
Le DPC se cantonne aux traitements et aux pratiques de soins ou de prévention, ce qui rend inéligibles des formations pourtant souhaitées sur le management ou les outils de communication numérique entre professionnels. l peut aussi y avoir des désaccords de priorité ou d’interprétation entre le Conseil national professionnel (CNP), chargé de proposer des orientations, et l’ANDPC. Paul Frappé, président du Collège de la médecine générale, CNP de cette spécialité, regrette ainsi qu’il ait fallu tant « batailler » pour obtenir la possibilité de former les généralistes à la psychothérapie de soutien, et que l’oubli par le CNP de l’échographie de la thyroïde dans la fiche sur les « gestes techniques utiles dans la pratique » en médecine générale n’ait pas été réparé. Michèle Lenoir-Salfati, directrice générale de l’ANDPC, rappelle l’encadrement du statut de psychothérapeute depuis 2010 et l’existence du dispositif « Mon psy ». Et note que selon les radiologues, une échographie de la thyroïde n’est pas si simple à réaliser, ni une urgence, tout en comprenant que dans certains déserts médicaux, il soit plus facile pour un généraliste de la réaliser lui-même. « Cela ne peut pas être chaque spécialité déconnectée des autres », résume-t-elle. Paul Frappé n’en disconviendrait pas. « Nous travaillons depuis plusieurs années avec la Société française de radiologie, et nous sommes totalement en phase avec eux sur la place de l’échographie en médecine générale », dit-il. La position de cadrage et d’arbitrage de l’ANDPC contribue au sentiment d’incompréhension de certains médecins. À l’image de Jean-Claude Soulary, représentant de MG France à la section professionnelle médecins de l’ANDPC, qui déplore la création « d’une agence d’État unique pour toutes les professions, avec ses contraintes technocratiques et un mélange d’intérêts parfois contradictoires ».
19 commentaires
6 débatteurs en ligne6 en ligne
Photo de profil de Romain L
14,1 k points
Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 1 an
Vaste sujet sur lequel il y aurait beaucoup à dire : image du médecin "vache à lait", non reconnaissance de la formation continue "sur le tas" (qui constitue pourtant l'essentiel de ma formation conti
Photo de profil de Pierre Frances
664 points
Débatteur Renommé
Médecine générale
il y a 1 an
Je suis très heureux d'avoir cet article. Pas plus tard qu'hier j'ai téléphoné à cet organisme du fait de sollicitations mail et téléphonique trop importantes. La semaine dernière, et c'est la cerise
Photo de profil de Yves Adenis-Lamarre
3,2 k points
Débatteur Passionné
Médecine générale
il y a 1 an
Le DPC ! Encore une honte de l’action destructrice, par ignorance de la fonction première du généraliste, et par dogmatisme des politiques ! Il y avait quelque chose qui marchait bien c’étai
 
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