Dix jours. C’est le temps dont disposaient les trois laboratoires homéopathiques – Boiron, Weleda et Lehning – à compter de la réception du projet d’avis de la commission de la Transparence (CT) de la Haute Autorité de santé (HAS), le 16 mai dernier, pour formuler des observations écrites et/ou demander à être entendus par la CT. Dans la seconde hypothèse, la HAS disposerait ensuite de quarante-cinq jours pour donner suite à ces demandes d’audition avant de publier un avis définitif [annoncé pour le 28 juin] qui sera transmis à la ministre de la Santé, à qui il revient de maintenir ou non le remboursement de ces produits. Bien que normalement soumis à la stricte confidentialité, le projet d’avis a rapidement fuité dans la presse. Ainsi, après avoir reçu le dossier des laboratoires compilant une centaine d’études ainsi que 29 contributions écrites de différents syndicats et sociétés savantes, et après avoir auditionné, au courant du mois d’avril, les parties prenantes à l’exception des laboratoires, la CT a donné "un avis défavorable au maintien de la prise en charge par l’Assurance maladie des médicaments homéopathiques". Ce verdict – qui n’est pas encore définitif – se fonde sur le constat que, selon la CT, "aucune étude n’a démontré la supériorité en termes d’efficacité de l’approche homéopathique par rapport à des traitements conventionnels ou au placebo". Cependant, elle note aussi "la gravité et/ou l’impact potentiel sur la qualité de vie des patients de certains symptômes/affections étudiés pour lesquels il existe un besoin médical à disposer d’alternatives thérapeutiques ou de médecine complémentaires".
> 74 % des Français qui ont recours aux médicaments homéopathiques les jugent efficaces et sont contre l’arrêt de leur remboursement, selon un sondage Ipsos (octobre 2018) pour les laboratoires Boiron. > 60 % du chiffre d’affaires de Boiron est réalisé en France. Il emploie 2 500 salariés en France, répartis sur 33 sites. Selon le laboratoire, le déremboursement pourrait menacer 1 millier d’emplois. > 6,7 millions de Français ont bénéficié d’un remboursement d’un médicament homéopathique au cours de l’année écoulée, estime le projet d’avis de la HAS. > Un tiers des médecins généralistes libéraux prescrivent quotidiennement de l’homéopathie et 85 % de manière occasionnelle, indique Boiron.
Un point de vue qui ne surprend pas le collectif FakeMed dont les 124 fondateurs avaient signé, en mai 2018, une tribune dans le quotidien Le Figaro appelant au déremboursement de l’homéopathie, un texte qui a fait resurgir le vieux débat de la prise en charge de ces thérapeutiques. "Le projet d’avis de la HAS n’est pas surprenant dans la mesure où toutes les données d’études cliniques sont concordantes sur l’absence d’efficacité propre de l’homéopathie, souligne le Dr Jérémy Descoux, cardiologue et président de FakeMed. La vraie question aujourd’hui est de savoir si on adapte ou non notre décision politique aux faits scientifiques." Auditionné par la CT, le collectif a insisté sur le fait que "le remboursement de l’homéopathie entretient le mythe selon lequel, pour chaque symptôme, il faut nécessairement un médicament". C’est pour les mêmes raisons que le Collège national des généralistes enseignants (CNGE) a appelé, dès le mois de janvier, à dérembourser l’homéopathie et à la sortir du champ universitaire. "Dans une logique d’éthique, de transparence et de bon usage des ressources collectives, le conseil scientifique du CNGE a considéré qu’il apparaît absurde de continuer à rembourser les médicaments homéopathiques, explique le Dr Vincent Renard, son président. Un des reproches que nous faisons à l’homéopathie est qu’elle fonde une iatrogénie non visible en induisant le réflexe du médicament. C’est tellement antinomique avec l’approche que nous essayons de promouvoir depuis des années en termes de moindre prescription, d’éducation thérapeutique et de changements des comportements de nos patients." Un tiers des MG en prescrivent quotidiennement Il reste que l’homéopathie est encore très largement prescrite en France et pas uniquement par des médecins qui se réclament de cette expertise particulière. "L’homéopathie rend bien des services pour des tas de petites pathologies sans faire aucun dégât", plaide le Dr Philippe Vermesch, président du Syndicat des médecins libéraux (SML), syndicat comptant traditionnellement beaucoup d’homéopathes au travers de sa branche médecins à expertise particulière (MEP). "D’ailleurs, tous les médecins prescrivant de l’homéopathie sont loin d’être des homéopathes exclusifs." Selon le projet d’avis de la HAS, 6,7 millions de Français ont bénéficié d’un remboursement d’un médicament homéopathique au cours de l’année écoulée. Selon le laboratoire Boiron, un tiers des médecins généralistes libéraux prescrivent quotidiennement de l’homéopathie et 85 % de manière occasionnelle. "Quand on attaque l’homéopathie, c’est aussi les pratiques de ces médecins qu’on attaque", fait valoir Anabelle Flory-Boiron, directrice de Boiron France, qui met aussi en avant les risques de transfert de prescription en cas de déremboursement de l’homéopathie : "Il est clair qu’il y aurait des transferts vers d’autres médicaments remboursables qui sont souvent plus chers et qui ont des effets iatrogènes ayant eux-mêmes un coût, estime-t-elle. Il a été montré que les patients qui ont recours à l’homéopathie consomment notamment trois fois moins de psychotropes." Un argument également brandi par la Société savante d’homéopathie (SSH), qui avait été auditionnée par la HAS. "J’exerce en banlieue parisienne avec une patientèle familiale, raconte la Dr Hélène Renoux, sa présidente. Il y a un certain nombre de patients qui ont la CMU ou des revenus modestes qui ne pourront plus s’offrir l’homéopathie. Dans ce cas, des reports seront automatiques. Du coup, il n’y aura pas d’économie pour la collectivité, et les patients vont perdre de leur liberté de choix." Une TVA de 2,1 à 10 % Le déremboursement a, en effet, aussi pour conséquence une hausse des prix mécanique car la TVA passe de 2,1 à 10 % et les prix deviennent libres pour les fabricants comme pour les pharmaciens. Si les pharmaciens se sont montrés plutôt discrets dans ce débat, la Fédération des syndicats pharmaceutiques français (FSPF) s’est déclarée, sans monter directement au front, en faveur du maintien du remboursement. Le second syndicat de pharmaciens, l’Uspo, plaide, lui, pour une baisse du taux de remboursement plutôt qu’un déremboursement pur et dur. Une façon de couper la poire en deux.
Une bataille sur le web La polémique entre les partisans et les opposants du remboursement de l’homéopathie ne se joue actuellement en partie sur le web. Et sur certains réseaux, dont Twitter, elle prend parfois un tour très virulent. Largement relayée sur les réseaux sociaux, la campagne des défenseurs intitulée "Mon homéo, mon choix" a également été tournée en dérision : un compte et un mot clé #MonHariboMonChoix ont été créés par les détracteurs de l’homéopathie. "Cet hashtag me fait sourire, admet le Dr Mathieu Calafiore, membre du collectif FakeMed. En revanche, je ne suis pas d’accord avec le fait de se moquer des patients, car je rappelle que si certains prennent ce type de traitement et qu’ils ont confiance en l’homéopathie, c’est généralement parce qu’un médecin leur a dit que cela allait être efficace." En réaction au compte @Fakemedecine, porte-voix du collectif éponyme, un compte intitulé @SafeMed1 présente "le point de vue des patients et professionnels de santé pour la défense d’une médecine intégrative qui soigne sans nuire" : "Nous acceptons le débat, mais regrettons les insultes", disent ces derniers. "Ce compte dénigre énormément la médecine classique", répond le Dr Calafiore, qui regrette également les sous-entendus selon lesquels le déremboursement profiterait à l’industrie pharmaceutique "en oubliant que les fabricants d’homéopathie sont également des industriels". De fait, de part et d’autre, les échanges sont généralement assez vifs. Ils le sont un peu moins sur le réseau de partage de photographies Instagram où la campagne "Mon homéo, mon choix" a également été relayée par de nombreuses "influenceuses", ce qui a également fait tiquer le collectif FakeMed.
Enfin, si l’Ordre des médecins est resté en retrait des polémiques, renvoyant pour les aspects scientifiques à l’Académie de médecine et à la HAS, c’est qu’il est encore occupé à gérer les suites de la tribune du Figaro qui avait mis le feu aux poudres. Le Syndicat national des médecins homéopathes (SNMHF) a en effet déposé 70 plaintes ordinales contre les signataires. "Tout le monde a le droit de donner son avis sur l’homéopathie, justifie son président Charles Bentz. Mais je n’ai pas à être insulté par les confrères parce que je prescris de l’homéopathie, comme la moitié de mes confrères. Nos plaintes sont une réaction normale, car les propos qui ont été tenus relèvent d’un non-respect flagrant du code de déontologie."
Pour l’heure, toutes les conciliations en commissions départementales de l’Ordre ont échoué. Au niveau des juridictions régionales, des cinq médecins jugés dans trois affaires, un seul a eu un jugement en sa faveur. Dans les prochaines affaires qui sont jugées, les médecins mis en cause n’hésiteront certainement pas à faire valoir l’avis de la CT.
La ministre de la Santé n’a jamais annoncé explicitement son intention de dérembourser l’homéopathie. Elle avait, en revanche, indiqué qu’elle se rangerait à l’avis définitif de la HAS, une instance qu’elle présidait encore juste avant de devenir ministre, et qu’elle a saisie pour avis en août 2018. Est-ce à dire que les jeux sont faits ? "J’ai souhaité remettre le rationnel scientifique au centre du débat, expliquait Agnès Buzyn dans un entretien à l’AFP fin mars. Ça ne veut pas dire que cela suffise toujours à prendre une décision politique, mais au moins j’ai réaffirmé qu’on ne pouvait pas faire sans." Si son souhait est de dérembourser l’homéopathie, elle devra convaincre encore le Premier ministre. Plusieurs personnalités politiques se sont déjà immiscées dans le débat. Gérard Collomb, le maire de Lyon, ville du siège de l’entreprise Boiron, a écrit au président de la République dès le préavis de la HAS connu pour défendre "cette entreprise ancrée dans la région lyonnaise depuis quatre-vingts ans qui rayonne dans le monde entier" et mettre en garde Emmanuel Macron contre "l’ampleur des conséquences d’une telle décision en termes d’emploi pour le territoire de l’agglomération". Xavier Bertrand, ancien ministre de la Santé aujourd’hui président du Conseil régional des Hauts-de-France, a annoncé mi-avril dans un tweet très remarqué avoir signé la pétition demandant le maintien du remboursement de l’homéopathie : "Le déremboursement de l’homéopathie est une fausse bonne idée et coûterait plus cher", a-t-il fait valoir. En 2006, alors au gouvernement, il avait décidé du déremboursement de 156 médicaments à service médical rendu insuffisant, dont des veinotoniques. Une étude de l’Irdes parue en octobre 2011 sur ces déremboursements avait mis en lumière "une baisse immédiate de la prescription des médicaments concernés" mais aussi "des reports qui augmentent la prescription d’autres classes de médicaments".
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