"J'essaie de dire 'arrêtez de venir aux urgences pour rien'" : rencontre avec le médecin préféré des parents
Médecin aux urgences pédiatriques de Valenciennes (Nord), le Dr Nicolas Winter est devenu en quelques années l'un des médecins préférés des parents, un peu désarmés face à un système de santé en déliquescence. Sur sa page Facebook To be or not toubib où il distille conseils et astuces, le généraliste de 36 ans totalise plus de 280 000 abonnés, essentiellement des mamans. Une "caisse de résonnance" inouïe, qui lui permet d'éduquer ses abonnés afin d'éviter les passages inutiles aux urgences.
Une énième garde d'hiver à l'hôpital de Valenciennes. Novembre 2018. Le Dr Nicolas Winter, praticien aux urgences pédiatriques, a passé la journée à "rabâcher" la même chose aux parents venus en nombre consulter parce que leur enfant a de la fièvre. Non, ce n'est pas parce que votre bambin à 39,5 qu'il doit forcément passer par la case hôpital ! Harassé, les traits tirés, le médecin entame son trajet habituel pour rentrer chez lui. Il monte dans le TER qui le conduit à Lille, et se met à écrire un long texte sur sa page Facebook : "Que faire avec un enfant qui a de la fièvre ? Faut-il l'immerger dans un bac à glace comme en URSS ? Faut-il courir immédiatement aux urgences en criant ? Doit-on l'utiliser comme bouillotte ?" Sa page étant privée, seuls ses amis en sont destinataires. "J'ai utilisé un ton humoristique, ça a fait marrer mes proches !" Les likes s'enchaînent. Devant l'enthousiasme général, le Dr Winter décide d'ouvrir son post en "public". C'est l'emballement. Des inconnus commentent, partagent sur leur propre profil… "C'était une sensation étrange", se souvient-il, attablé à l'étage du Café Méo, sur la Grand'Place de Lille.
Sa compagne l'encourage à créer une page dédiée à la médecine sur les réseaux sociaux. "Mais oui bien sûr, des gens vont s'abonner pour avoir des infos sur la pédiatrie…", lui répond-il, dubitatif. "Comme on n'a jamais le dernier mot quand on parle avec une femme, j'ai fini par céder", plaisante le généraliste de formation*, un brin taquin. C'est le début de To be or not toubib. La page voit officiellement le jour le 4 juillet 2019. "Je l'ai lancée dans l'avion, on partait à Venise avec ma compagne." Il publie d'emblée plusieurs billets sur les motifs les plus récurrents aux urgences pédiatriques : la fièvre, la diarrhée et les vomissements, l'eczéma, et le traumatisme crânien. Le Huffington Post s'empare de ce dernier. Trois jours après, le compteur affiche déjà 6 000 abonnés. Le praticien ne l'avait pas prévu : incapable de répondre aux sollicitations depuis la Cité des Doges, il suspend temporairement sa page. "Quand je suis rentré, c'est monté de façon exponentielle : 50 000, 100 000 abonnés…"
Aujourd'hui, To be or not toubib est suivi par plus de 280 000 personnes sur Facebook, 60 000 sur Instagram et 30 000 sur X (anciennement Twitter), essentiellement des mamans – elles représentent 83% de ses abonnés. Nicolas Winter participe régulièrement à des émissions radio, télévisées, accorde des interviews… Un comble pour cet ancien introverti, devenu en peu de temps "le médecin préféré des parents". "C'est faux, c'est Michel Cymes", sourit-il, modestement, en sirotant son expresso. Sur sa page, il prodigue des conseils médicaux et publie des "fiches pratiques" destinées aux parents, souvent désemparés en cas de problème de santé chez leur enfant, pour les aider à faire les bons choix. Puisant ses idées dans les consultations aux urgences pédiatriques de Valenciennes où il exerce depuis cinq ans : "C'est ancré dans le réel."
Ce qui fait sa différence : son ton caustique, dédramatisant. "Ça provoque un décroché humoristique qui fait que les parents sont peut-être plus fans." Le médecin, qui n'a pas encore d'enfant, s'efforce aussi d'être pédagogue, et de "combler l'asymétrie entre le soignant et le soigné". "On est d'autant mieux préparé à l'inquiétude d'être parent si on nous informe", assure-t-il, reconnaissant que le discours médical – empreint de "jargon" – est souvent trop "complexe" pour les patients et peut vite être pris pour une forme de "condescendance". "Je pense plutôt qu'il s'agit d'un refuge." "Il faut permettre aux patients de comprendre ce qu'il se passe, quel que soit leur niveau d'éducation. Moi, si un garagiste me parle de joint de culasse, je suis perdu !", illustre le praticien.
"Des parents ont su repérer des affections"
Son succès sur Internet se concrétise en 2021 avec la parution d'un premier livre, Urgences or not urgences (éd. First), dans lequel on retrouve ses fiches pratiques. Là aussi, c'est une femme qui a impulsé ce projet : Charlotte Volper, directrice de la collection Pocket Imaginaire. Nicolas Winter la connaît bien. Passionné de littérature de l'imaginaire depuis ses 18 ans, il est devenu "assez maître du sujet". Il rédige des critiques de livres – surtout –, mais aussi de films et de séries fantastiques sur son site Just a word. Un domaine dans lequel il a "fait son trou" puisqu'il est devenu juré du Grand prix de l'imaginaire. C'est dans ce cadre qu'il a rencontré l'éditrice. Maman, celle-ci a eu un déclic en voyant les posts Facebook du médecin. "Il faut qu'on fasse un truc !", lui a-t-elle lancé. Le projet est soutenu par les éditions First, qui appartiennent également au groupe Editis.
"J'avais fixé trois conditions : que je garde mon humour – ça c'était non négociable, que ce soit un livre rapide à lire pour les parents qui n'ont pas le temps, et, surtout, qu'il ne soit pas cher", explique le médecin, fan de Jérémy Ferrari. "Je travaille dans le Valenciennois, une des zones les plus déshéritées de France avec une population très pauvre. Pour moi, la médecine doit être accessible à tous, sans distinction sociale", estime le trentenaire qui a grandi non loin de là, à Beuvrages avec sa mère. Son livre s'est vendu à plus de 60 000 exemplaires. "Ça a été un succès auprès des parents mais aussi des professionnels de santé, ce qui m'a étonné ! Plusieurs généralistes l'ont recommandé à leurs patients. Certains l'ont même acheté par caisse entière pour le distribuer aux parents de nouveau-nés !" Des CPTS lui ont aussi fait des commandes.
"Les gens s'en sont emparés, c'était pensé pour ça", souligne fièrement le Dr Winter, qui aimerait que son livre soit intégré dans la box des 1 000 premiers jours, "plutôt qu'on y mette des échantillons Nestlé !" Pour le praticien hospitalier, ce recueil est une réussite "parce qu'il a évité des passages aux urgences, mais surtout, il en a permis !". Le but ainsi été atteint. "J'ai eu plusieurs exemples de parents qui ont fait le 'test du verre' sur la peau de leur enfant et qui, observant qu'une trace ne s'effaçait pas, sont allés aux urgences où on a découvert que c'était un purpura. Les enfants ont été pris en charge à temps grâce au fait que les parents ont su repérer des choses", indique Nicolas Winter, se sentant "utile".
"Au début, j'étais stressé face à ces petites choses"
S'il est aujourd'hui reconnu, le praticien hospitalier n'envisageait pourtant pas d'exercer en pédiatrie. "Moi les enfants, ça me faisait peur !", avoue le trentenaire, qui est arrivé en médecine "un peu par hasard". Son idée à lui, c'était de travailler aux urgences adultes. Mais "un concours de circonstance malheureux" l'en a éloigné, soupire-t-il. "Lors de mon internat de médecine générale [la spécialité urgentiste n'existait pas encore, NDLR], mon stage aux urgences de Lille s'est très mal passé. J'ai été victime du système : quand on est interne, on paie les pots cassés pour les chefs. Ça n'a pas plu que je dise sur Facebook que laisser un interne de troisième semestre gérer un déchoc sans être supervisé par un chef était anormal", confesse Nicolas Winter. "J'ai été convoqué, menacé. À l'époque, je ne savais pas que c'était répréhensible par la loi." L'étudiant avait en tête de poursuivre un cursus pour exercer aux urgences adultes. "Mais ceux qui choisissaient qui pouvait entrer dans ce cursus étaient ceux qui m'avait fait vivre un enfer en stage. Je savais que c'était foutu, mais j'ai quand même passé l'entretien."
Le jeune homme est en quelque sorte secouru par la cheffe des urgences pédiatriques de Valenciennes, qui lui propose d'y faire des gardes. Il accepte et se prend de "passion" pour la pédiatrie d'urgence. Un "mal pour un bien", relativise Nicolas Winter. "Au début, j'étais stressé face à ces petites choses aux chaussettes mignonnes qui pleurent et vous regardent bizarrement, mais au fur et à mesure on apprend des choses, par exemple comment leur parler pour avoir les symptômes." Une fois thésé, il fait quelques semaines de remplacement en cabinet libéral de médecine générale dans le Douaisis, mais l'exercice ne lui convient pas. Bien que "respectueux" du travail éreintant abattu par les généralistes, il lui manque "l'adrénaline". "Je suis un peu maso sur les bords", ricane-t-il. Et d'ajouter : "Moi mon truc, c'est de voir le patient, de régler le problème aigu et de passer la main." À contre-courant de beaucoup de pédiatres.
S'il adore son métier, Nicolas Winter n'est toutefois pas certain de l'exercer jusqu'à la fin de sa carrière. "Mon médecin traitant quand j'étais plus jeune m'a dit que je ne resterai pas aux urgences pédiatriques toute ma vie parce que ça casse, et je pense que je suis d'accord avec lui. C'est beaucoup trop éreintant", reconnaît le médecin, fatigué par sa nuit de garde. "Ce qui est difficile, c'est le travail en nuit profonde." L'hôpital de Valenciennes, l'un des premiers des Hauts-de-France en termes d'entrées aux urgences pédiatriques, dispose de deux lignes de garde, ce qui soulage – un peu – les praticiens. "Il n'y a pas si longtemps, les urgentistes de garde devaient encore faire face à des situations pénibles : un enfant qui déraille aux urgences, et un autre qui déraille à l'étage, par exemple. Certains CH font encore face à cette pression en France."
"Il y aura des drames"
Le médecin, qui n'a pas la langue dans sa poche, se montre très sévère vis-à-vis de la politique gouvernementale. "Comme tout le monde, je suis saoulé de voir des choses qui ne relèvent pas des urgences arriver chez nous. Les urgences n'ont pas vocation à accueillir toute la misère de France ! Mais il faut comprendre que les gens n'ont personne vers qui se tourner. Nous on n'est pas assez, on est dépassés par le nombre, mais l'offre de soins primaires s'écroule aussi. Si l'on écoute le Gouvernement, il ne faudrait pas dire que ça s'effondre, mais c'est le cas !", s'agace-t-il. À cause de cette "pénurie massive", "les généralistes n'ont plus le temps pour éduquer leurs patients, qui viennent aux urgences pour n'importe quoi".
"Il n'y a aucun système d'éducation à la santé dans notre pays au niveau pédiatrique, donc forcément, le système prend l'eau", déplore le nordiste, très critique envers les assises de la pédiatrie, qui ne sont que "foutaises". "Je n'en attends rien." Il poursuit, emporté : "Pourquoi on a eu besoin de faire ces assises ? On sait tous où est le problème ! Il faut augmenter les moyens, les salaires des paramédicaux, rendre plus attractives les professions, augmenter les subventions pour l'éducation à la santé", avance Nicolas Winter. "Ça fait combien d'hivers qu'on dit que c'est un marasme total aux urgences pédiatriques ? Il y aura des drames, des morts. Ce sont les enfants qui vont payer !", lance le praticien, qui utilise parfois sa page Facebook comme un exutoire : il y pousse des coups de gueule, fait part de se lassitude et se confie aussi à cœur ouvert, comme lorsque Pierre, son médecin traitant d'enfance, est mort à 68 ans : "La vie est une pute."
Face au manque de médecins dans l'Hexagone, apparaissent de plus en plus sur les réseaux sociaux des groupes de parents qui distillent des "conseils médicaux". "La pire chose qui soit arrivée au monde", lâche le médecin, volontairement dans l'excès, avant de se reprendre. "Je comprends cette logique d'entraide, mais ces gens pensent pouvoir généraliser de leur expérience personnelle. Le quidam devient soignant. C'est nuisible, estime-t-il, le regard inquiet. Il y a, en plus, une tendance de plus en plus prononcée à juger les parents, et notamment les mamans, à les culpabiliser : ‘Tu n'allaites pas ton enfant, mais tu le tues à petit feu en lui donnant du lait maternisé !’"
Mais le médecin craint surtout l'émergence des "fakemeds" et "pseudo-sciences" : homéopathie, kinésiologie, ostéopathie… "De la pensée magique !" Que l'épidémie de Covid a exacerbé. Pour le Dr Winter, les soignants ont leur part de responsabilité dans la montée en charge de cette mouvance. "Il faut aussi qu'on balaie devant notre porte. On est censés, nous médecins, être garants d'une certaine probité, d'une certaine information", juge-t-il, déplorant "l'incapacité de l'Ordre" à recadrer ceux qui se détournent de la Science. S'il estime que les adultes, une fois éclairés, sont libres de décider pour eux-mêmes, le praticien hospitalier se dit horripilé que l'on impose "ces croyances ésotériques" aux enfants : "J'entends des parents dire qu'ils vont prendre un rendez-vous par semaine chez l'ostéo pour 'replacer tout ce qu'il faut' chez leur enfant. Mais replacer quoi ? Votre enfant, c'est pas un Lego !"
"L'information loyale et éclairée du patient"
En mars dernier, le médecin a sorti un deuxième livre, Le Bisou magique existe-t-il ? (éd. First), dans lequel il revient sur 20 mythes et fakemeds afin d'aider les parents à trier le vrai du faux. Sa façon à lui de participer à l'éducation des parents, qui peuvent parfois avoir des réactions "brutales ou étranges" lorsque leur enfant souffre et qu'ils ne maîtrisent pas la situation. "C'est un prolongement de mon devoir à l'hôpital : l'information loyale et éclairée du patient." C'est aussi "une invitation à la réflexion", souligne l'auteur, qui ne rechigne jamais à répondre aux questions des parents qui lui envoient directement des messages. "Durant la phase Covid, on a eu une crise complète de la Science. On a découvert avec drame et fracas que la culture scientifique de la population générale était catastrophique."
Informer, conseiller, soigner… Nicolas Winter compte le faire "tant que ça [l'amusera]". "Le jour où ça ne sera plus le cas, j'arrêterai", explique le trentenaire qui a encore beaucoup de projets en tête. Ce dernier aimerait faire de la vidéo. Il avait d'ailleurs au départ pour idée de se lancer sur Youtube, mais par manque de moyens et de temps, il s'était ravisé. "Je suis un gros perfectionniste, un maniaque. Si je fais les choses, je les fais sérieusement, ou je ne les fais pas." Il a, en outre, commencé à rédiger un troisième livre. Cette fois-ci, point de conseils médicaux, il s'agira d'un recueil de ses expériences en médecine, annonce ce mordu de bouquins, qui lit entre 70 et 100 livres par an. Il a d'ailleurs emporté avec lui aujourd'hui La cité des marches de Robert Jackson Bennett, de la pure fantasy. "Je souffre de cette peur de ne pas avoir un livre sur moi. Et qui sait ? Peut-être qu'un jour vous me retrouverez libraire, quand j'en aurai ma claque du stress des urgences et de vieillir de 15 ans à chaque garde. Ce n'est pas du tout impossible !", sourit-il.
*Il a complété sa formation d'un DIU en "accueil d'urgences en service de pédiatrie".
Bio express :
26 août 1987 : naissance à Denain (Nord)
Septembre 2005 : entrée à la faculté de médecine de Lille
10 octobre 2018 : passe sa thèse
4 juillet 2019 : lance sa page To be or not toubib
8 septembre 2019 : prend ses fonctions au CH de Valenciennes
21 janvier 2021 : sortie de son premier livre Urgences or not urgences
14 mars 2024 : parution de son deuxième livre Le Bisou magique existe-t-il ?
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