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"Nous ne sommes pas des fourmis et la Cnam n'est pas notre reine" : en quoi le projet de convention pose "problème" pour ce généraliste

A la veille d'une séance de négociations marathon de deux jours, le Dr Michaël Rochoy, généraliste à Outreau, a décrypté le projet d'accord conventionnel soumis par la Cnam aux syndicats, soulevant sur le fond "au moins cinq grands problèmes". Et de mettre en garde la caisse : "l'Assurance maladie a davantage besoin des médecins que les médecins n’ont besoin d’elle"...

14/05/2024 Par Dr Michaël Rochoy
Assurance maladie / Mutuelles
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"Le projet de convention médicale a été diffusé le 9 mai, une semaine avant le « marathon » de 48 heures, prévu ces jours-ci entre les syndicats de médecins libéraux et l’Assurance maladie.

Sur la forme, l’UFML-S a identifié que l’auteur du document était… un consultant de Cap Gemini. Sur le compte Twitter de l’Assurance maladie, un community manager a répondu « qu’un seul consultant du cabinet Cap Gemini a été chargé d’intervenir en appui et de façon limitée, afin de rassembler et consolider les différentes parties rédigées par les nombreux contributeurs de la Cnam, avant relecture, validation et diffusion du document par la Cnam. »

Cette réponse soulève plus de questions qu’elle n’y répond. Si la tâche est si simple et banale que copier-coller des fichiers Word dans un seul document PDF, pourquoi diable l’avoir externalisée ? Et si Cap Gemini a été rémunéré pour produire un PDF, comment se fait-il qu’il soit d’aussi piètre qualité ? (pas de titre, une hiérarchisation douteuse, pas de révision de cohérence de typographie, aucun signet/renvoi… ).

Enfin, combien cette « mission » de créer un PDF a-t-elle coûté à la communauté ? A l’heure où la convention place des objectifs très précis sur la réduction d’arrêts de travail, de prescriptions, ce serait dommage de ne pas faire preuve ici de la plus élémentaire transparence quant aux dépenses d’argent « public » envers une boîte de conseils. Nous pourrons ainsi collégialement définir une réduction de 100 % du recours à des boîtes privées pour produire des PDF de qualité médiocre…

Quant à l’hypothèse contraire — une participation plus active que de la mise en forme foireuse —, elle serait tout bonnement scandaleuse. 

"Quel syndicat pourrait accepter de signer une convention qui comporte une telle phrase?"

Sur le fond, nous pouvons soulever (au moins) cinq grands problèmes.

1/ le problème des engagements irréalistes (pages 88 à 93).

Dans cette convention, le médecin signe personnellement une convention, qui comporte des engagements collectifs : réduire au maximum la part de patients en ALD sans médecin traitant, augmenter le nombre de primo-installés en médecine générale (…), en particulier dans les zones sous-dotées, augmenter la patientèle et la file active moyennes par médecin (…)

La plupart des engagements sont déjà vidés de leur sens (par exemple « poursuivre les actions engagées et ambitionner de réduire encore le nombre de patients en ALD sans médecin traitant pour tendre vers zéro ») ; il est prévu qu’un « observatoire conventionnel de l’accès aux soins » suive des indicateurs, en définisse de nouveaux, et prennent des mesures correctives facilitant l’atteinte des engagements.

Néanmoins, ceux qui sont engageants sont très problématiques. Sur l’augmentation de patientèle et file active, il est écrit noir sur blanc que les engagements collectifs des médecins libéraux sont (entre autres) « ne pas diminuer leur temps de travail et augmenter leur patientèle ».

Quel syndicat pourrait accepter de signer une convention qui comporte une telle phrase, si elle n’est pas supprimée ou « vidée de son sens » ? Nous ne pouvons pas nous engager individuellement sur les choix de nos 50 000 confrères et consœurs. Nous ne sommes pas des fourmis et la Cnam n’est pas notre reine.

Et c’est sans compter que nous sommes de plus en plus sollicités pour ne pas faire du soin directement — répondre à des missions de CPTS, coordonner des équipes, collaborer avec des IPA, monter des projets de MSP, etc.

2/ toujours dans les engagements, il est impossible de s’engager individuellement dans une convention collective à des objectifs sur la pertinence et la qualité des soins…

Bien entendu, l’objectif est louable, mais quel est le rationnel des taux présentés ? Là encore, quel syndicat va dire « ok, on s’engage à réduire l’évolution du nombre de jours d’arrêts de travail de 2% par an, de 25 % d'antibiotiques en 2027, de 10 % le nombre de patients polymédiqués, de 10 % les paliers 2, de 5 % les compléments nutritionnels oraux… » ?

Le projet de convention comporte un détail pour chaque item, et finalement les engagements concrets sont faibles (utiliser des Trod angines, aller sur Antibioclic…), parce que l’Assurance maladie ne voit pas de solution facile, et ne semble pas vouloir mener d’action ciblée sur les antibiotiques comme elle en mène sur les arrêts de travail…

Sur les patients polymédiqués de plus de 65 ans, l’Assurance maladie fournit la liste des 10 médicaments les plus utilisés, où elle intègre par exemple les analgésiques : forcément si on compare à d’autres pays où le paracétamol et les AINS sont en vente libre dans les supermarchés par lots de 100, nous en prescrivons davantage… Le reste est attendu : anti-HTA, anti-diabétiques, statines, IPP, antithrombotiques, psychotropes. Autrement dit, la plupart des polymédiqués le resteront, notamment avec un traitement de prévention cardiovasculaire secondaire…

Quant à la question de la réduction des psychotropes, ce serait probablement plus efficace par des actions sociétales que par l’action des médecins généralistes : nous ne sommes pas responsables des situations anxiogènes de nos patients… Finalement, est-ce que ça ne serait pas l’Assurance maladie et les politiques qui devraient s’engager publiquement dans cette convention à réduire de 10 % le taux d’anxiété dans la population d’ici 2027 ?

3/ l’absence d’engagement de l’Assurance maladie, en dehors de faire le travail pour lequel ils sont payés, et augmenter le financement.

Si les médecins s’engagent à travers ces 140 pages sur des objectifs d’une finesse sus-mentionnée, l’Assurance maladie ne s’engage elle qu’à distribuer l’argent qui ne lui appartient pas (c’est l’argent des cotisants). Les seuls aspects positifs de cette convention est l’annonce qu’on aura de la data-visualisation et un « tableau de bord des indicateurs de prévention, individualisés par patient ». Cela serait une mesure pratique — elle le serait encore plus si elle était interopérable avec nos logiciels métiers, pour identifier rapidement les points d’amélioration. C’est très bien, mais on imagine aussi que c’est juste le travail attendu de ceux qui sont embauchés pour ça parmi les 85 000 « collaborateurs » de l’Assurance maladie…

"Parler de choc d'attractivité est mensonger"

Il est question par exemple de mieux former les médecins généralistes à la prescription des soins infirmiers… Eh bien, supprimons ça ! Considérons que les infirmiers savent ce qu’ils doivent coter, supprimons l’étape de « vérification / contrôle » par le médecin généraliste, travaillons en bonne intelligence et en confiance envers les professionnels de santé.

Il est aussi question de mieux former les médecins généralistes à la prescription médicale de transport. Soyons audacieux : demandons que l’Assurance Maladie s’engage à gérer dès signature de cette convention ces prescriptions avec un bureau dédié aux transports dans chaque antenne, une possibilité en ligne ou par téléphone. Ils ne manquent pas de personnel puisque le programme Sophia va s’étendre aux maladies cardiovasculaires : pourquoi ne pas s’engager à libérer du temps médical par des programmes innovants de cette sorte, dégageant un rôle ingrat (et si souvent critiqué) des médecins généralistes ?

4/ les remplaçants restent exclus du champ conventionnel. Ils en ont les « devoirs » lorsqu’ils remplacent un médecin conventionné, mais n’en ont pas les « droits » — ni pour leur projet éventuel de réarmement démographique avec l’aide financière pour congé maternité ou paternité, ni pour l’accès au DPC, qui leur est pourtant obligatoire.

5/ Sur le plan financier, il n’y a aucun « choc d’attractivité », même s’il y a une vraie revalorisation prévue.

La principale modification est l’augmentation de l’acte pour les médecins généralistes, passant de 26,50 à 30€. Avec une moyenne de 5000 actes par an, cela représente 17 500€ supplémentaires (super-brut, soit environ 10 000€ net/an avant impôts). Certains diront que ça ne compense qu’à peine l’inflation des dernières années ; si à titre personnel, ça me convient comme ça, force est de constater que parler de « choc d’attractivité » est donc mensonger.

L’augmentation du forfait patientèle médecin traitant apparaît moins incertaine que lors du projet de contrat d'engagement territorial avec ses deux options (on est plutôt proche de l’ancien projet d’option 2).

Il est écrit page 33 que « le calcul du "forfait médecin traitant" est établi de sorte à ce qu’il soit toujours plus incitatif de prendre un patient dont le suivi est plus complexe ». Cette phrase est juste contraire au serment d’Hippocrate… et en plus elle est fausse, puisqu’il sera toujours plus incitatif de privilégier un nombre élevé d’actes mono-motifs, plutôt que gérer des consultations longues et complexes toute l’année. S’il y en a une, « l’incitation » au suivi complexe est plus intellectuelle et relationnelle que financière.

Cette augmentation du forfait patientèle s’accompagne d’une suppression de la Rosp (remplacée par un « bonus » de 5€ par indicateur de prévention par patient — donc… une Rosp par patient et plus par patientèle), et par une diminution du forfait structure (remplacé par un forfait numérique). D’autres forfaits s’y ajoutent, pour la collaboration avec les IPA, avec le SAS (dont on parlera juste après)… et d’autres forfaits sont diminués comme pour l’installation en ZIP.

Même dans un scénario très favorable, les forfaits seraient relativement peu augmentés (jusqu’à 4000-5000€ selon mes estimations) par rapport à l’acte. Ainsi, là encore aucun « choc d’attractivité » : ce qui est privilégié n’est pas le forfait de l’installation, mais la réalisation d’actes, et donc des soins non programmés, aux dépens de la médecine générale incluant prévention, dépistage, éducation, coordination et suivi...

Enfin, au-delà de ces problèmes, il y a aussi une question d’idéologie, qui essaie d’être présentée comme incontournable, à travers le SAS, les assistants médicaux et la relation que nous sommes censés avoir avec l’Assurance maladie.

Primo, il y a une vision des soins biaisée qui rendrait le SAS utile voire incontournable.

Il y a déjà un forfait de 1000€ superbrut par an, en échange d’un accès par le SAS à nos agendas. C’est contre-productif et ça incite à nous désinscrire du SAS, si on veut garder la main sur nos agendas (et par exemple garder nos créneaux d’urgence pour nos patients, selon nos organisations et habitudes déjà souvent difficiles à expliquer à un secrétariat !). Il semblait pourtant notoire que les médecins généralistes sont surchargés en 2024.

Sur les actes, il y a aussi une nouvelle majoration de 5 euros de 19h à 21h… uniquement pour les patients adressés par le SAS. Ainsi, si vous n’avez pas l’intention de bosser après 19 heures pour des raisons stupides comme « avoir une vie de famille », vous ne bosserez pas pour une majoration de 5 euros superbrut (3€ net) ; par contre, si vous aviez l’habitude de voir vos patients après 19 heures, cette nouvelle majoration incite à ne surtout plus faire ça, et à réserver tout créneau après 19h au SAS…

Comme pour l’augmentation favorisant les actes sur les forfaits, on a ici une nouvelle incitation aux soins non programmés, aux dépens d’une activité de médecin traitant…

"Un contrat de travail plutôt qu'une convention"

Secundo, nous nous engageons à « contractualiser avec l’Assurance maladie » pour bénéficier de l’aide à l’emploi d’un assistant médical pour « augmenter le nombre de contrats d’assistants médicaux pour atteindre pour libérer (sic) du temps médical »

Les assistants médicaux sont encore une fois présentés comme un moyen de « voir plus de patients », alors que leur intérêt principal est d’améliorer la qualité des soins probablement (même si ça reste à démontrer). Un assistant ne peut pas augmenter le nombre de patients vus, sauf à réduire la durée des consultations (créneaux de 10 minutes au lieu de 15 par exemple), ce qui mériterait d’être clairement affiché — prétendre que ça augmente de 1-2 consultations par jour est un non-sens pour les médecins sur rendez-vous, qui devraient prendre des créneaux de 13 ou 14 minutes au lieu de 15… Nous avons déjà démontré que les données de l’Assurance maladie sur le sujet sont erronées — voire franchement bidonnées, puisqu’ils ont sélectionné des médecins s’engageant à augmenter leur patientèle pour montrer qu’ils ont augmenté leur patientèle, en concluant que c’était donc grâce (à 100 %) à l’assistant médical. Enfin, une étude britannique a récemment confirmé que l’emploi d’assistants médicaux pour les médecins généralistes ne diminuait pas leur charge de travail…

Sur cette base, si l’Assurance maladie était réellement une boîte privée, elle ne déploierait pas 15 000 assistants médicaux d’ici 5 ans, avec une enveloppe de 20-30 000€ par assistant par an pour une politique non évaluée, dont les (rares) références scientifiques ne corroborent pas une amélioration de l’accès aux soins, juste parce qu’elle est basée sur une lubie du Président Emmanuel Macron. Il en va quand même de 300 millions d’euros par an (même si ça crée de l’emploi, que c’est bon pour l’économie, tout ça…)

De manière générale, rappelons qu’il y a d’autres solutions plus rapides et économiques pour « libérer du temps médical », notamment deux grands pans :

  • améliorer la qualité de l’air, en particulier dans les écoles (et donc diminuer les consultations pour viroses respiratoires, diminuer les absences et les consultations pour les justifier),
  • diminuer les certificats absurdes (dont les arrêts de travail courts de moins de trois jours, les absences pour enfant malade). Là aussi, nous en avons parlé par ailleurs, notamment via le site certificats-absurdes.fr du collège de médecine générale, qui porte ces messages depuis mars 2023 (et qui commenceront peut-être enfin à être entendus après l’avis favorable de mai 2024 de la Cour des comptes). Il faudra « lever le tabou » de s’opposer au Medef et à la CPME, qui ne souhaitent pas de cette mesure, pourtant utile à l’accès aux soins.

Tertio, l’Assurance maladie a une vision parfois étrange du libéral, qui se rapproche du salariat.

Nous avons vu plus haut les objectifs chiffrés sur l’accès aux soins, sur la pertinence des soins, ou encore l’engagement de ne pas diminuer la patientèle ou le temps de travail.

Il est aussi écrit que les médecins devront « s'engager à respecter les MSAP/MSO de l'Assurance maladie envers les prescripteurs ayant des pratiques atypiques », ou encore « s’engager à recevoir les délégués d’Assurance maladie ».

Elle annonce que désormais, en cas de déconventionnement, il ne pourra plus être possible de se reconventionner (selon les mêmes conditions que préalablement) avant un délai de deux ans.

En cas de cessation d'activité > 1 an, le médecin doit informer la CPAM « au plus tôt et a minima, dans un délai de 6 mois » (page 19). La phrase est assez peu lisible et méritera d’être améliorée : toutefois, on semble comprendre qu’il faut avertir au moins 6 mois avant… mais à quelles fins ? Lorsqu’on la contacte, la mission d’accompagnement santé de notre CPAM ne dispose d’aucune liste de médecins acceptant des patients, et « fait ce qu’elle peut ».

Croire que l’Assurance maladie (ou l’ARS) pourront trouver une solution au problème de démographie médicale parce qu’ils seront informés 6 mois avant un départ (plus ou moins prévisible) est utopique ; si ça ne sert à rien, ça n’a rien à faire dans une convention, qui nous sera toujours opposable pour la fin de ce Gouvernement et le début du suivant.

Bref, plusieurs éléments qui évoquent plus un contrat de travail qu’une convention entre « collaborateurs ». C’est tout à fait le droit de l’Assurance maladie dans le cadre de la convention ; c’est aussi notre droit en tant que médecins de critiquer cette position dominante que l’Assurance maladie adopte à tort. Comprenons-nous bien : je souhaite réellement qu’il y ait une convention et que l’Assurance maladie continue à permettre des soins relativement égaux en France… mais il faut aussi être lucide : les médecins continueraient de travailler si l’Assurance maladie disparaissait ; elle n’est pas notre supérieur hiérarchique, et elle a davantage besoin des médecins que les médecins n’ont besoin d’elle. Compte tenu de la démographie médicale actuelle, son positionnement dans les négociations n’en est que plus absurde.

Espérons que pendant ces deux jours de négociations finales, l’Assurance maladie saura réviser ou clarifier nos engagements, et qu’elle saura aussi augmenter les siens (et nous libérer du temps médical en arrêtant de nous utiliser comme des contrôleurs de toutes les autres professions de santé, et en prenant enfin sa part dans cette tâche, par exemple sur les transports médicaux)…"

 
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