Vers une première « génération sans tabac » à l’horizon 2032 ? Tel est l’objectif fixé par le Plan national de lutte contre le tabagisme (PNLT) 2018-2022, réitéré par celui de 2023-2027 présenté fin novembre 2023. Comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada, bien partis pour parvenir à l’« endgame » tabagique, la France espère aussi aboutir à une faible prévalence de tabagisme (moins de 5%) chez les 18 ans nés à partir de 2014. Les signaux positifs s’accumulent : selon des résultats de l’étude EnClass, publiés en janvier 2024 par l’Office français des drogues et des tendances addictives (OFDT), la prévalence de fumeurs quotidiens parmi les lycéens est passée de 17,5% en 2018 à 6,2% en 2022, soit une baisse d’un facteur trois en quatre ans. De même, le taux de collégiens ayant déjà expérimenté la cigarette a été divisé par deux dans le même temps, passant de 21,2% à 11,4%. Selon le Pr Loïc Josseran, président de l’Alliance contre le tabac (ACT), le mérite en revient à la forte augmentation de la fiscalité, considérée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme le meilleur levier antitabagique. De 3,20 euros en 2000, le prix moyen du paquet de 20 cigarettes s’élève désormais à 11 euros, depuis la hausse du 1er janvier. Alors que la cigarette connaît un recul historique en France, le combat contre le tabac pourrait bien se porter sur d’autres fronts. Notamment sur de nouveaux produits du tabac, vers lesquels se tourne « Big Tobacco » pour continuer à assurer ses bénéfices. Présents au congrès, plusieurs experts tabacologues se sont inquiètés de l’arrivée en force de ces produits encore mal réglementés, et dont le marketing agressif n’est pas sans évoquer celui qui a fait les beaux jours de la cigarette. Tabac chauffé, snus, puffs, nicopouches… Parmi les produits les plus vendus, ceux à base de tabac chauffé, présentés comme une alternative moins nocive au classique tabac brûlé, car censés libérer moins de substances toxiques. Or selon une étude menée à l’Institut Pasteur de Lille (1), le tabac chauffé aurait une « toxicité intermédiaire », note le Dr Gérard Peiffer, du service de pneumologie du CHR Metz-Thionville. « Moins de CO, mais il y en a ; moins de nitrosamines, mais à un niveau suffisant pour qu’elles soient cancérogènes », sans oublier les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP). « Ces produits ne sont pas une porte de sortie du tabac, mais plutôt une porte pour y entrer, voire pour y revenir », estime-t-il. Or le tabac chauffé a le vent en poupe : dans l’UE, le nombre de bâtonnets vendus a explosé de 2 009 % entre 2018 et 2020, selon un rapport de la Commission européenne. Quant au snus, qui consiste en sachets de poudre de tabac à placer entre la gencive et la lèvre supérieure, il est interdit dans l’Union européenne (excepté en Scandinavie), mais très facile à acquérir sur internet. Selon une enquête BVA menée en 2023 pour l’ACT, 7% des 13-16 ans l’auraient déjà expérimenté. A priori sans risque pour le poumon, le snus a été associé à un surrisque de cancer du pancréas et d’infarctus du myocarde, et engendre rétractation des gencives, lésions des muqueuses et cancers oraux (2), rappelle Gérard Peiffer. A ces produits du tabac, s’ajoutent désormais ceux à base de nicotine. Exemple récent, les puffs, cigarettes électroniques à usage unique dont l’Assemblée nationale a voté l’interdiction début décembre 2023. Prisées par un public jeune en raison d’une présentation très attractive (multicolores, nombreux goûts), elles sont considérées par l’ACT comme une porte d’entrée vers l’addiction à la nicotine. Selon l’enquête BVA citée plus haut, 15% des 13-16 ans y auraient déjà recouru. Pour 47% d’entre eux, c’est même leur consommation qui les a initiés à la nicotine. Et 23% sont ensuite passés à d’autres produits, à base de tabac ou de nicotine. Autre motif d’inquiétude, les ‘nicopouches’, aromatisés et également sous forme de sachets à placer entre la gencive et la lèvre supérieure, fortement dosés en nicotine et donc à fort potentiel addictif. Quant aux perles de nicotine, 21% des jeunes de 13-16 ans en ont entendu parler, et 11% les auraient déjà expérimentées. A quoi s’ajoutent de nouveaux produits chauffés, mais uniquement à base de nicotine. Pour Loïc Josseran, « l’industrie investit énormément sur ces nouveaux produits (…). Ce n’est pas grâce à eux qu’un fumeur de 50 ans, ayant 30 ans de cigarettes derrière lui, va sortir du tabagisme. Les industriels sont en train de changer de cap : il se crée devant nous un marché de la nicotine ». Un marché qui, sous couvert d’abandon de la cigarette, viserait à fidéliser une jeune clientèle sur le long terme. E-cigarette : sevrage ou réduction des risques ? Bien qu’elle ne fasse pas encore l’unanimité, la cigarette électronique (« vape ») semble quant à elle trouver grâce auprès de nombreux tabacologues. Et ce malgré une très nette opposition de l’OMS, qui a rappelé en décembre 2023 ses craintes pour la santé des jeunes, et ses doutes quant à son efficacité pour le sevrage. Au contraire, estime la Dre Marion Adler, cheffe du service d’équipe de liaison et soins en addictologie (Elsa) de l’hôpital Antoine-Béclère (Clamart, 92) : « c’est un outil très apprécié pour un sevrage agréable et sans souffrance, qui semble nettement moins toxique que le tabac, et constitue donc un bon outil de réduction des risques ». Au lieu des 4 000 composés toxiques que recèle la fumée de cigarette, la vape, au-delà de sa nicotine, de ses arômes et de ses solvants (propylène glycol, glycérine végétale), ne dégage ni monoxyde de carbone, ni goudron, ni particules, rappelle la tabacologue. Selon une revue Cochrane publiée en janvier (3), l’efficacité de la vape pour le sevrage tabagique semble bien réelle. Le taux d’abandon du tabac est de 59% plus élevé avec la vape qu’avec les substituts nicotiniques. S’il n’existe pas (encore ?) de preuve de toxicité, les études n’ont jamais porté au-delà de deux ans. L’intérêt de la vape semble particulièrement marqué pour le sevrage des femmes enceintes. Lors d’une étude américaine menée sur 1 329 femmes fumeuses avant leur grossesse, l’utilisation de cigarettes électroniques était associée à un taux plus élevé d’abstinence tabagique en fin de grossesse (53%) que les substituts nicotiniques (19,4%) (4). Une étude irlandaise a par ailleurs montré des résultats rassurants pour les enfants exposés in utero au vapotage, dont le poids de naissance était similaire à ceux nés de non-fumeuses, alors qu’il était de 10% inférieur chez les enfants nés de fumeuses (5). Quant aux jeunes, des études, menées aux Etats-Unis et en Australie, ont montré une concomitance entre la hausse de l’utilisation de cigarettes électroniques et le déclin des cigarettes à tabac. De même en France où, selon l’étude EnClass de l’OFDT, la baisse du tabagisme chez les lycéens coïncide avec une légère hausse de la vape (2,8% d’usagers quotidiens en 2018, 3,8% en 2022). Or selon une récente étude française, c’est bien un effet concurrentiel (au profit de la vape) qui semble en jeu, plutôt qu’un effet ‘porte d’entrée’ vers le tabac (6).
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