"Les médecins sont épuisés… mais ils ne lâchent pas" : Médecins pour demain n'a pas dit son dernier mot
Egora.fr : Vous venez d'être élue présidente de l'association Médecins pour demain. Quel a été votre parcours jusqu'ici ?
Dre Mélanie Rica-Henry : Je suis médecin généraliste dans le Morbihan, installée depuis un peu plus de 5 ans dans un cabinet de groupe qui compte six médecins. Je suis Bretonne, j'ai fait mes études à Brest.
J'ai adhéré au mouvement dès sa création quasiment, au mois d'octobre. J'ai très vite fait partie de l'équipe nationale, j'ai participé à la cellule communication, puis j'ai été trésorière de l'association.
Qu'est-ce qui vous a poussée à vous engager dans le mouvement Médecins pour demain, jusqu'à en assumer aujourd'hui la lourde charge de la présidence ?
C'était un peu avant la loi Rist, quand le Conseil de l'Ordre des infirmiers a pris position pour un transfert de compétences. Mon métier, je l'adore, il me passionne. Et à ce moment-là, je me suis dit : j'essaie de faire du mieux que je peux et là, on veut m'enlever tout ce qui est intéressant dans mon travail pour me cantonner à des tâches administratives ; soit j'arrête, soit je me bats. J'étais en colère, j'avais besoin de m'impliquer, d'employer cette colère à bon escient.
Puis le mouvement a pris de l'ampleur, j'ai participé au montage de l'association. J'étais au départ vice-trésorière, mais j'ai dû reprendre la trésorerie en urgence quand le trésorier est décédé.
Quand Christelle Audigier a démissionné, nous étions quelques-uns à être dans sa droite ligne. Je me suis dit qu'il fallait que l'un de nous se présente, pour poursuivre ce qu'elle a entrepris et éviter que le mouvement ne s'essouffle – je l'espère.
Justement, le mouvement va bientôt fêter son premier anniversaire. Quel bilan dressez-vous, alors que le combat pour la revalorisation de la médecine libérale s'éternise ?
On a l'impression d'avoir fait avancer les choses. On a réussi à rassembler les médecins libéraux, qui sont la plupart du temps relativement isolés, et à refaire prendre conscience à notre profession qu'on n'est pas tout seul. Et aussi à informer nos confrères. Je faisais partie de ces médecins qui ne connaissaient pas grand-chose au syndicalisme, aux négociations conventionnelles, et qui ont tout découvert. On a réexpliqué aux médecins comment fonctionnent les relations avec la Cnam. C'est une grande victoire.
Aujourd'hui, on s'inscrit dans la durée. C'est un travail de longue haleine, avec plusieurs propositions de loi qui sortent et peuvent nous être défavorables. Il faut rester en veille.
On reste une association, qui est là pour informer les médecins de ce qui se passe. Car, quand on est à fond dans son travail, on ne s'en rend pas forcément compte. On incite aussi les confrères à se syndiquer. C'est important de se faire représenter, notamment avec les mises sous objectifs.
Et on a également un gros travail d'information en direction des politiques : on s'est rendu compte que beaucoup ne connaissent pas la médecine libérale, ambulatoire. Dès qu'un politique a une étiquette de médecin, les autres élus du même bord se fient à lui… mais ce n'est pas parce qu'on est médecin qu'on connaît tout le système de santé. On essaie donc d'apporter notre point de vue aux politiques de tous bords car nous restons un mouvement apolitique, asyndical.
Il n'est pas question de se transformer en syndicat, comme l'UFML l'a fait il y a quelques années ?
Il ne faut jamais dire jamais, mais pour l'instant, c'est comme ça qu'on voit le mouvement. Une association qui sert à rassembler, informer, sensibiliser les politiques… et la population générale. Les patients nous voient 15 minutes en consultation, mais ne voient pas tout le travail derrière.
Quel est l'état d'esprit au sein du mouvement ? Les médecins sont-ils abattus par le règlement arbitral ou prêts à repartir au combat ?
Les deux ! On sent que les médecins sont fatigués, épuisés par ce conflit et cette absence d'avancées… Mais ils ne lâchent pas. Ils sont très demandeurs d'actions.
Des collectifs se sont créés partout en France, indépendamment de MPD. On sent bien que les médecins...
ne veulent pas se laisser faire, qu'ils veulent agir, exprimer leur mécontentent. Ils ont rédigé et signé des chartes de solidarité pour montrer leur unité. On voit bien que ça ne redescend pas et qu'il ne manque pas grand-chose pour les remobiliser.
Peut-on s'attendre à une nouvelle mobilisation, à de nouvelles actions à l'automne, avant la reprise des négociations conventionnelles ?
Nous avons déjà décidé de suivre la grève du 13 octobre, initiée par certains syndicats contre la PPL Valletoux qui sera examinée au Sénat.
Nous sommes dans le flou concernant la reprise des négociations. Nous avons suivi les précédentes car nous avions été conviés par certains syndicats ; rien ne dit que ce sera le cas pour les prochaines. Nous allons essayer de suivre, pour informer et porter nos demandes.
S'agissant de nouvelles actions, c'est en cours de réflexion. Il faut réfléchir aux bonnes actions, au bon moment. Car on ne peut pas demander aux médecins d'être mobilisés 24h/24…
Le directeur général de la Cnam, Thomas Fatôme, semble avoir fait évoluer sa position. Il a affirmé que la consultation à 26.5 euros n'était "qu'une étape" et a affiché sa volonté de "réduire les écarts" de rémunération entre généralistes et autres spécialistes. Vos revendications sont-elles inchangées ?
Nous restons sur les mêmes revendications tarifaires : le C à 50 euros pour être dans la moyenne européenne, mais pas seulement ; une revalorisation des spécialités paupérisées, comme la pédiatrie, l'endocrinologie, la psychiatrie qui, en secteur 1, peuvent être moins bien rémunérées que les généralistes. Si on veut attirer des spécialistes de tous bords, il faut que financièrement, nos entreprises libérales tiennent. C'est sûr qu'il y a beaucoup de généralistes dans le mouvement, mais il y aussi pas mal de spécialistes et on essaie de porter la voix de tout le monde.
Autre revendication phare, qui reste inchangée : la suppression des rémunérations sur objectifs, qui sont opaques. L'un dans l'autre, ça s'équilibrerait avec le C à 50 euros. Mais je ne suis pas sûre que le Gouvernement et la Cnam s'engagent dans cette voie…
Quelle est la position de Médecins pour demain sur le mouvement de contestation tarifaire du C à 30 euros?
Depuis le début, nous avons voulu informer sur ce qu'est la convention, ce qu'on peut faire ou ne pas faire, ce que l'on risque si on va au-delà. Il faut savoir qu'en cas de désobéissance tarifaire, on risque des poursuites de la Cnam, raison pour laquelle les médecins ont signé des chartes de solidarité pour se défendre les uns, les autres. Certains collectifs disent vouloir aller progressivement au-delà de 30 euros… Pour nous, le C à 30 euros ne serait qu'une réévaluation du tarif tenant à peine compte de l'inflation. Si on veut attirer en médecine de ville, et si en parallèle on supprime les rémunérations sur objectifs, il faut plus que 30 euros, clairement.
On soutiendra toujours tous les médecins, qu'ils soient conventionnés ou pas, qu'ils fassent des dépassements ou pas, mais on a averti des risques et on n'a pas incité à le faire.
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