Pénurie de médecins : "Il faut une coercition douce et consentie"

28/07/2022 Par Sandy Bonin
Les mesures incitatives ne fonctionnent pas. Tel est le constat du sénateur LR Bruno Rojouan. L'élu de l'Allier a déposé fin juin une proposition de loi visant à "rétablir l'équité territoriale en matière d'accès aux soins". Il y prône le conventionnement sélectif en zone sur-dotée et un conventionnement temporaire en début d'installation. Mais pour tempérer les coups de fouet, il plaide aussi pour la hausse du C à 30 euros, l'exonération des cotisations des médecins libéraux en cumul emploi-retraite ou encore la prise en charge par l'Assurance maladie des assistants médicaux. 

 

Egora.fr : Vous êtes l'auteur d'une proposition de loi visant à "rétablir l'équité territoriale en matière d'accès aux soins : agir avant qu'il ne soit trop tard". L'une de vos solutions est d'introduire la coercition. Des dizaines de propositions de loi limitant la liberté d'installation ont déjà été déposées et toutes ont été rejetées. En quoi votre texte est-il différent ?  

Bruno Rojouan : C'est vrai que ce sujet a été X fois traité, mais il l'a toujours été par la commission des Affaires sociales. Cette commission a, en général, une dominante de représentativité des professionnels de santé. Le milieu médical y siège beaucoup. Et les propositions se heurtaient au dilemme de ces députés et sénateurs médecins. Ils étaient dans un certain corporatisme. Les mesures coercitives ne passaient donc pas. La puissance de l'Ordre et des syndicats médicaux a toujours joué un jeu qui était de dire qu'il fallait garder la sacrosainte liberté d'installation du médecin. 

De mon côté je n'ai rien à voir avec le milieu médical et c'est la commission Aménagement des territoires, dont je fais partie, qui a pris le texte. On passe donc du milieu médical à la vision des maires de France et au point de vue des usagers, plutôt que celui des médecins. On se positionne du côté des patients. C'est un élément majeur. 

 

Et de votre côté vous pensez que cette "sacrosainte liberté d'installation du médecin" n'a plus raison d'être… 

Non, effectivement. Et pourtant notre texte ne va pas jusque-là non plus. Il faut emmener tout le monde dans le même bateau sur les options de ces territoires. Je propose une autre vision beaucoup plus coercitive. Nous avions une politique uniquement incitative jusque-là. L'idée est donc de passer de mesures uniquement incitatives à des mesures coercitives. Dans les 10 années qui viennent, le pire est devant nous. Six millions de Français n'ont actuellement plus de médecin traitant, mais cela va encore augmenter.   

Il faut donc une coercition douce et consentie. Les temps ont aussi changé dans les états d'esprit. Pour ce texte, j'ai auditionné beaucoup de monde : les syndicats de médecins, l'Ordre, les doyens de facultés…Eux aussi ont changé. Il y a 5 ans, ils n'étaient pas prêts à accepter des propositions coercitives. Aujourd'hui, ils y sont prêts. 

 

Ça n'est pas ce qu'ils disent dans la presse… 

Ils sont conscients qu'on ne peut pas laisser le pays aller à vau-l'eau. On estime qu'il y a 1,7 million de Français qui ne sont plus soignés. Quand on découvre les problèmes de santé trop tard, on rentre directement dans des traitements lourds et cela met en danger la vie du patient. Il y a une prise de conscience là-dessus. 

 

Vos proposez dans votre texte que les médecins ne puissent s'installer dans une zone sur-dotée qu'en cas de départ d'un médecin déjà installé, mais y a-t-il vraiment des zones sur-dotées en France ? 

Il y en a quelques-unes, notamment sur le littoral, dans les villes touristiques ou dans certains arrondissement de Paris.  

De toute façon, il n'y a pas de mesures aujourd'hui qui puissent permettre de retrouver le nombre de médecins nécessaires. C'est pour cela que je pense qu'il faut diminuer le temps administratif des praticiens avec l'aide des assistants médicaux par exemple. L'objectif est qu'ils passent d'une patientèle de 1.200 patients à 2.500. Il faut donc organiser le système de manière différente. Il n'y a pas que le médecin. L'infirmier ou le pharmacien peut devenir prescripteur. Il faut pouvoir accéder aux spécialistes sans passer par le généraliste.  

 

Vous parlez aussi dans votre texte de conventionnement sélectif temporaire, de quoi s'agit-il ? 

Le temporaire nous permet de faire passer un peu la pilule. Cela pondère l'idée qu'il s'agit d'un conventionnement sélectif définitif parce...

que ça n'est pas l'objectif non plus. Ce conventionnement sélectif s'adresserait à l'ensemble des nouveaux médecins. Il est aussi temporaire parce que dans 10 ans, on peut supposer que nous en aurons moins besoin, dans la mesure où il y aura plus de médecins.  

Nous n'avons pas encore défini de temporalité, mais nous nous disions que les périodes pourraient durer trois ans. Ainsi, chaque jeune médecin irait en début d'exercice dans une zone sous-dotée pendant trois ans. Mais cette temporalité est ouverte à la discussion.  

 

Le risque n'est-il pas que les médecins ne veuillent plus s'installer en libéral ? 

C'est pour cela que cette mesure ne peut pas fonctionner seule. Elle doit être conjuguée avec toutes les autres et notamment la revalorisation des médecins. Je ne connaissais pas du tout le milieu médical au départ. Quand j'ai regardé la différence de rémunération des médecins français par rapport à leurs confrères étrangers, je n'en suis pas revenu. Heureusement que j'étais assis. Il faut bien reconnaître que nous ne payons pas assez nos médecins en France. Il faut absolument revaloriser financièrement la profession médicale, c'est absolument indispensable. On est les derniers en termes de rémunération à l'échelle européenne. 

 

Tout cela relève des négociations conventionnelles… 

Oui c'est vrai. Dans ce texte il y a des mesures législatives, réglementaires et conventionnelles. Il y a trois piliers. Les législateurs ne détiennent pas la clé de tout. 

 

Pour revenir à votre proposition d'un déploiement massif des assistants médicaux, vous avez un objectif de 10.000 assistants d'ici 2024. Comment les financer ? 

Les médecins en France, avec le peu de rémunération qu'ils ont, ne peuvent pas les financer. Ces assistants médicaux doivent être pris en charge par le système de santé. Il n'y a pas d'autre possibilité. On ne peut pas demander aux médecins de payer, ils ne le peuvent pas.  

 

Que pense l'Assurance maladie de vos propositions ? 

Elle est plutôt d'accord et est consciente de tout cela. Elle fait la balance et voit le coût de tous ces Français qui ne sont pas soignés à temps. Nous sommes désormais dans une politique du préventif.  

 

Vous voulez aussi rendre les infirmières et pharmaciens prescripteurs. Dans quel cadre ? 

Il faudrait bien sûr un cadre organisé et protocolisé. Le médecin gardera la responsabilité, mais il ne verra pas systématiquement son patient pour des suivis de tension ou de renouvellement d'ordonnance par exemple. Le pharmacien peut très bien le faire. L'infirmière peut suivre un certain nombre de maladies chroniques également. Si elle détecte une anomalie, le patient retournera devant son médecin. Tant que nous n'aurons pas le nombre suffisant de praticiens, il faudra pallier.  

 

Vous souhaitez également supprimer les cotisation retraite des médecins en cumul emploi-retraite… 

Absolument, c'est une évidence et il faut le faire rapidement. Avec la difficulté que nous avons actuellement, il faut être souple dans tous les domaines.  

 

Quelle est la prochaine étape de cette proposition de loi ? 

J'en suis actuellement à la co-signature. Il faut que les sénateurs soient les plus nombreux possibles à co-signer cette loi, de manière transpartisane. Nous ferons alors le bilan des co-signatures, puis la proposition sera amenée à être inscrite en discussion au Sénat.  

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