« Martin Hirsch, directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), pensait qu’il était important de pouvoir récupérer des messages, bonnes pratiques et retours d’expérience de la région Grand-Est, confrontée à cette première vague épidémique du Covid-19. En tant que médecin anesthésiste-réanimateur et ancien directeur général de la Santé, proposition m’a été faite de m’y rendre et de faire un retour sur ce que j’avais pu y voir. Ces constats sont faits à la suite d’échanges avec les différentes parties prenantes (agences régionales de santé, hôpitaux, médecins, etc.) entre le 18 et le 22 mars ainsi qu’une visite dans les principaux hôpitaux concernés à cette période de la crise (Mulhouse, Colmar). Les visites montrent des hôpitaux apparemment désertés, avec des halls sans patients. L’activité est concentrée dans les services où tout le corps soignant se trouve équipé des pieds à la tête, ajoutant beaucoup à sa charge de travail.
Les services habituels ont été remplacés par des « unités Covid ». Les équipes soignantes résistent bien, même si elles sont concernées par la pathologie elle-même (5 à 10% des équipes présentaient, mi-mars, des symptômes dans ces établissements). Si des signes de fatigue apparaissent, le découragement n’est pas là. Cependant, une vigilance particulière doit y être apportée pour maintenir l’engagement, en intégrant le risque important d’être confronté à des cas graves dans leurs propres équipes. Les typologies de patients ont changé à mesure que l’épidémie progressait. Au début du mois, les patients étaient principalement âgés, avec des comorbidités, et ils pouvaient être pris en charge aux urgences, sans besoin immédiat de réanimation. En deuxième partie du mois de mars, ce sont les patients restés à la maison plus longtemps qui sont arrivés...
plus jeunes, sans comorbidités, ils ont présenté des défaillances pluriviscérales consécutives à leur séjour prolongé à domicile. Ces patients sont plus à même d’être admis rapidement en réanimation avec un besoin d’assistance ventilatoire. Par ailleurs, l’expérience internationale et du Grand-Est montre qu’il n’y a que très peu de cas pédiatriques. 80 à 90 % des patients sous ventilation mécanique invasive Cette épidémie a pour particularité de peser principalement sur les services de réanimation. L’urgence des hôpitaux du Grand-Est, pour répondre à la crise, a été d’augmenter leur capacité de lits de réanimation. Entre le 3 et le 20 mars, l’offre de lits de réanimation a pu passer de 500 à 800 dans le Grand-Est, avec l’aide de ressources internes à la région et un redéploiement d’appareils de ventilation (respirateurs de blocs opératoires, appareils de domicile, etc.), avec un objectif total de 1 600 lits au pic de l’épidémie. Cette montée en charge se fait en transformant les lits d’unités de soins continus, de soins intensifs, avec une aide matérielle et en ressources humaines des autres régions.
Sur le plan des ressources matérielles, la majorité des patients (80 à 90%) sont sous ventilation mécanique invasive. L’utilisation de techniques de ventilation non invasive n’est pas recommandée en raison du risque d’aérosolisation du virus. Sur le plan de la surveillance des patients, que ce soit en réanimation ou en unité de médecine conventionnelle, c’est l’oxygénation sanguine qui est le meilleur indicateur. Obtenu à partir d’un outil assez classique, un oxymètre de pouls, elle permet d’anticiper les besoins en oxygénation des patients et d’éviter parfois l’instauration de ventilation invasive. La solution d’un déploiement d’oxymètre de pouls sans fils avec un monitoring centralisé est à privilégier.
Sur le plan des ressources humaines, le besoin se fait sentir à mesure que les unités s’agrandissent. Pour augmenter cela, il a été décidé de déprogrammer toutes les activités chirurgicales non essentielles afin de libérer les médecins anesthésistes-réanimateurs et les infirmiers anesthésistes diplômés d’État. Par ailleurs, de nombreuses ressources humaines des autres régions sont venues pour, à la fois, appuyer les équipes mais aussi pouvoir mieux anticiper l’arrivée de la crise dans leur région. Un outil de gestion de crise, le ROR Face à une raréfaction des places de réanimation, associée à un besoin qui évolue rapidement, un outil, porté par les agences régionales de santé, est devenu indispensable dans la gestion de la crise : le registre opérationnel de ressources (ROR). Lorsqu’il est informatisé...
dans de bonnes conditions, il permet une vision des lits de réanimation et des lits requalifiés en lits de soins critiques sur la région. Il est indispensable d’anticiper la mise en route de ce dispositif comme outil de pilotage, et, pour cela, de mettre en face les ressources humaines nécessaires pour le maintenir à jour en temps réel. Par ailleurs, pour soulager les équipes et faire face à un manque de lits en réanimation, de nombreux transferts ont été organisés au sein de la région vers celles pas encore touchées (notamment la Nouvelle-Aquitaine) et vers d’autres pays européens (Luxembourg, Suisse, Allemagne). Ces transferts, même s’ils ne sont pas aisés et demandent une logistique importante, sont une solution pour les patients stabilisés, en fin de parcours de soins. En parallèle de ces tensions et de l’organisation des soins critiques dans le Grand-Est, un point important et de vigilance est d’organiser tôt les parcours et circuits pour les patients âgés, en institution comme à domicile. L’anticipation de situations de fin de vie nécessite d’organiser un accès permanent à un médecin pour ces patients, tout en limitant leur hospitalisation dans des conditions parfois dégradées ou dans des zones où le virus circule. Cette astreinte médicale peut être parfois difficile à organiser, et peut faire appel à des médecins coordonnateurs d’Ehpad, des médecins libéraux, la réserve sanitaire et même parfois des organisations non gouvernementales (Croix-Rouge, par exemple). L’impact en termes de soins en Ehpad et à domicile, qui doit être accompagné, passe aussi par une formation du personnel soignant, notamment aux questions de fin de vie. La situation épidémique soumet l’ensemble des personnels de santé à des éléments de stress : la crainte de contracter la maladie, l’afflux de patients mais aussi de décès. Il est essentiel de mettre à disposition des soignants et des familles, au plus tôt, des cellules d’urgence médicopsychologiques pour limiter les risques de stress post-traumatique.
Enfin, ce que l’expérience de l’épidémie dans l’Est permet d’anticiper est la nécessité de mettre en place une coordination régionale médicale de crise auprès du directeur général de l’ARS. Cette direction, en lien avec les directeurs médicaux de crise de chaque groupement hospitalier ou de chaque établissement, permettra d’optimiser en temps réel les moyens. Par ailleurs, il pourra faire le lien avec la direction nationale de crise pour assurer la coordination entre les besoins et moyens régionaux et la situation nationale. En effet, la crise, que ce soit au sein des régions ou au niveau national, est hétérogène et doit faire adapter les réponses en temps réel. Contact : benoit.vallet-ext@aphp.fr
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