Samu : Le tabou des millions d'appels perdus décrypté

23/08/2018 Par Aveline Marques
Système de santé

En 2016, 4.6 millions d'appels téléphoniques au 15 n'ont pas été décrochés, d'après une enquête choc de l'hebdomadaire Le Point, basée sur les données remontées par les Samu eux-mêmes. A Paris et à Pointe-à-Pitre (Guadeloupe), moins d'un appel sur deux a été pris par un opérateur. Montrées du doigts, les équipes mettent en avant le manque de moyens humains.

"Chaque appel compte, chaque seconde compte." Quelques semaines après l'affaire Naomi Musenga, l'hebdomadaire Le Point a voulu vérifier la véracité de la devise du Samu. Les journalistes François Malye et Jérôme Vincent, qui publient depuis 1999 leur palmarès annuel des hôpitaux, ont exploité les données de la statistique annuelle des établissements de santé (SAE), et plus particulièrement les chiffres d'activité des 101 Samu français. En 2016, révèle le journal, sur les 29.2 millions d'appels reçus, 4.6 millions n'ont pas obtenu une réponse d'une personne physique.   Temps de réponse trop long   L'hebdo publie ainsi les taux de décrochés de chacun des 94 Samu qui ont transmis cette donnée au ministère, "du pire au meilleur". Dans le bas du classement, se trouvent les Samu de Pointe-à-Pitre (42.7% d'appels décrochés), de Paris (49.8%) et de Perpignan (57.45%). Bien loin des 99% recommandés par Samu-Urgences de France. De fait, seuls 20 Samu atteignent cet objectif, le taux de décrochés moyen se situant aux alentours de 84%. Mais "les résultats s'effondrent" s'agissant des temps de réponse : seuls deux centres (Orléans et Verdun) parviennent à décrocher 100% des appels dans la minute. A Paris, seul 1 appel sur 3 (36.14%) serait décroché dans la minute. Des données remises en cause par l'AH-HP dans un communiqué publié ce matin. "D’après les données du SAMU de Paris, le temps moyen de décrochage est de 48 secondes", souligne l'institution, qui ne précise pas l'année concernée. "La connaissance de la réalité du nombre d’appels qui auraient dû être traités et qui ne l’ont pas été est difficile à appréhender, insiste la direction. Il existe des appels par erreur, des appels raccrochés spontanément, des personnes qui rappellent après un premier appel et des personnes qui peuvent faire deux numéros d’urgence (15 et 18 par exemple) (…). Il n’est pas exact de compter comme appel non décroché un appel qui s’est interrompu dans un délai inférieur à 15 secondes, élément qui explique une partie des discordances avec les statistiques prises en compte par le Point. En effet, alors que Le Point fait état pour le SAMU de Paris de 49,8% d’appels décrochés, le SAMU de Paris estime que ce taux est plutôt de 76% d’appels décrochés."   Appels perdus   Le nombre d'appels interrompus au bout de moins de 15 secondes n'est en effet pas renseigné dans l'enquête du Point : cette donnée n'est pas demandée par le ministère, justifie l'hebdo. Dans son rapport sur le décès de Naomi, l'Igas parvient tout de même à un total de 21977 appels non décrochés par le Samu de Strasbourg en 2016, hors appels de moins de 15 secondes. Reste que ces chiffres accablants sont à mettre en regard avec le taux d'appel reçu par ARM dans chaque Samu. "A l'hôpital de Mont-de-Marsan (Landes), siège du Samu 40, les ARM traitent 3 appels par heure quand ceux du Samu 95 en encaissent 20", nuance Le Point. S'ils ne nient pas l'existence d'appels perdus, les représentants des Samu interrogés par l'hebdo mettent en avant leurs difficultés, notamment le manque d'effectifs. "Ce sont de très mauvais chiffres, reconnaît le Pr Pierre Carli, patron du Samu 75 et président du Conseil national de l'urgence hospitalière. Si vous voulez me faire dire qu'il faut plus d'évaluation des Samu, une certification Iso 9001 pour les plateformes -que nous avons demandée à la ministre- allez-y, réagit-il dans les colonnes du Point. C'est vrai qu'il nous manque cinq ARM, tout simplement parce qu'ils sont peu payés, qu'il y a des difficultés récurrentes avec les transports parisiens et que du coup, quand il y a des coups de bourre, on doit perdre des appels."   "Mauvais coupables"   Faut-il regrouper des plateformes par région ? S'attaquer aux doublons historiques de certains départements (Seine-Maritime, Pyrénées-Atlantiques, Loire) ? C'est la direction prise au CHU de Saint-Etienne. "C'est le seul moyen de conserver la qualité en assurant une activité suffisante, estime le Dr Jean-Yves Grall, directeur général de l'ARS. Une meilleure régulation médicale, c'est moins d'errance pour les patients et des urgences moins embolisée. Et puis cela permettra d'y remettre des médecins." Quant à une plateforme unique d'appels, voulue par Emmanuel Macron, les "blancs" du Samu y sont opposés, de peur de se retrouver sous la coupe des "rouges" des sapeurs-pompiers. S'il appelle à une nécessaire certification des Samu, gage d'une démarche d'amélioration de la qualité et de la formation, le Dr Patrick Goldstein, chef du Samu de Lille (95.77% d'appels décrochés), met en garde contre la tentation de désigner les "mauvais coupables". "Ces gens qui sont permanenciers, auxiliaires de régulation ou médecins régulateurs, des gens qui sont là nuit et jour pour répondre à ces appels qui sont des situations d'urgence, là, on est en train de les ostraciser et de les culpabiliser, déplore-t-il sur France Info. Dans mon service, c'est +110% d'activité en huit ans. On a doublé l'activité. Nous avons pu bénéficier d'un renfort humain mais qui n'est pas à la hauteur." [avec Le Point et francetvinfo.fr]

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