Financement de la santé : comment en finir avec la politique du rabot

25/01/2018 Par Véronique Hunsinger
Assurance maladie / Mutuelles

S’il comporte des innovations, le premier budget de la Sécurité sociale d’Emmanuel Macron use comme par le passé des sempiternels "coups de rabot" pour contenir une dépense structurellement en croissance. Comment repenser un système très hospitalocentré, sous-financé pour l’organisation des soins primaires et continuant à sous-estimer le poids de la dépendance à venir pour notre population qui vieillit ? Enquête.

  C’est l’épaisseur du trait. Si les prévisions de la loi de financement de la Sécurité sociale (Lfss), adoptée par le Parlement en décembre, se réalisent, le solde de l’assurance maladie, cette année, devrait atteindre les 800 millions d’euros de déficit, sur un budget total de 200 milliards. Et l’ensemble du régime général, toutes branches confondues, pourrait même afficher un excédent de 1,2 milliard. Du jamais-vu depuis 2001 ! Si tous les spécialistes ne croient pas vraiment à ce miracle (qui a parfois un relent électoral), tous les observateurs semblent d’accord pour constater que le quasi-équilibre des comptes de l’assurance maladie découle d’une politique continue de contraintes très fortes sur les dépenses.  

"Coups de rabot" sur les dépenses de santé

  "On n’est pas parvenu à cet équilibre du jour au lendemain, souligne Christophe Marques, économiste au sein du cabinet de consultants Asterès, auteur notamment d’un rapport sur “La santé en 2013 : quelle prise en charge pour quelle médecine ?”. Les économies réalisées ces dernières années ont consisté essentiellement en des baisses de prix, notamment des médicaments, et pesant sur les laboratoires de biologie médicale. Les médecins, en particulier les généralistes, ont subi une stabilité des prix assez longue. À l’hôpital, la tarification à l’activité a également engendré une régulation tarifaire très forte. S’il est normal que les pouvoirs publics souhaitent des tarifs cohérents, ce ne peut être une stratégie sur le long terme." Cet économiste, comme certains de ses collègues, n’hésite pas à qualifier "d’austérité" les politiques des dernières années, fabriquées à "coups de rabot" sur les dépenses de santé. Le budget de la Sécu pour 2018 présente d’ailleurs, presque traditionnellement, un plan d’économies de plus de 4 milliards d’euros, étrangement similaire à ceux des dix dernières années, en estimant la croissance "spontanée" des dépenses autour 4%. "Ce calcul de la croissance spontanée n’est pas toujours bien explicité, souligne Claude Le Pen, professeur de sciences économiques à l’université Paris-Dauphine. On remarque aussi que les plans d’économies successifs sont assez facilement réalisés, on peut se demander si on ne les surdimensionne pas un peu. Dans tous les cas, il serait plus intéressant d’essayer de réduire cette croissance spontanée par des réformes de structures."  La Fédération hospitalière de France a annoncé en fin d’année dernière que les hôpitaux publics ont, en 2017, cumulé un déficit de 1,5 milliard d’euros. Si plus personne ne défend aujourd’hui la tarification par une enveloppe globale versée annuellement aux hôpitaux, la tarification à l’activité (T2A), dans sa forme actuelle, est largement remise en cause. "La tarification à l’activité introduit de nombreux biais, résume Jean-Pierre Domin, maître de conférences en économie de la santé à l’université de Reims. Elle incite notamment à faire sortir très vite les malades de l’hôpital et à privilégier les soins les plus rentables. Mais quel que soit le système de tarification, le problème n° 1 est celui de l’augmentation de l’Objectif national des dépenses de santé [Ondam] que l’on décide d’allouer à l’hôpital".  

"En France, on choisit toujours le plus cher "

  La ministre de la Santé Agnès Buzyn, vient d’engager une réflexion sur ce sujet tout en convenant que l’inflexion de la T2A ne pourra se faire que de manière progressive. Dans la lignée de Marisol Touraine, la ministre de la Santé met l’accélérateur sur le virage ambulatoire. Ce qui, à terme, devrait induire des fermetures de lits d’aigu, leur suppression ou leur transformation en structure d’accueil pour personnes âgées. Solution qui permettrait de moderniser notre parc tout en conservant le personnel soignant. "Nous sommes arrivés au bout de la logique de la politique du rabot, qui fait l’hypothèse que la structure des dépenses est la bonne, prévient Jean de Kervasdoué, professeur émérite du Conservatoire national des arts et métiers. En France, on choisit toujours le plus cher : on préfère l’hôpital à la médecine de ville, les soins des médecins spécialistes à ceux des médecins généralistes, les soins des médecins à ceux des paramédicaux. Et en plus on prescrit beaucoup trop de médicaments. Nous avons, comme on dit en économie, une fonction de production qui est beaucoup trop chère", estime-t-il.  

Le financement non plus à l’acte mais au parcours de soins

  Agnès Buzyn a évoqué, à plusieurs reprises, l’évaluation, tirée notamment des études de l’Ocde, que 25 à 30 % des dépenses de santé seraient inutiles. "C’est une estimation modeste, avance même Jean de Kervasdoué. On sait que dans les hôpitaux on recommence des examens qui ont été faits en ville. La première chose à faire est de mieux connaître et évaluer les pratiques." Cet ancien directeur général des Hôpitaux qui avait été à l’origine du Pmsi (programme de médicalisation des systèmes d’information hospitaliers) voit d’un œil très favorable l’autre cheval de bataille de la ministre de la Santé : le financement non plus à l’acte mais au parcours de soins. "Chaque fois que c’est possible, il faut pouvoir définir le parcours de soins et, une fois que cela a pu être fait, définir un montant global pour cette prise en charge et la manière de le répartir entre les différents acteurs", explique Jean de Kervasdoué. En ville, cet homme longtemps catalogué à gauche plaide pour une rémunération forfaitaire annuelle à la capitation. "Les médecins pourraient ainsi mieux coordonner la prise en charge de leurs patients qui, eux, de leur côté, n’auraient plus à faire face à un ticket modérateur." Quels que soient les choix qui vont être opérés par le gouvernement, les réformes de fond semblent désormais indispensables pour maintenir l’équilibre des comptes. Le budget de la Sécurité sociale 2018 permet en tout cas la multiplication des expérimentations tarifaires, tant pour la ville que pour l’hôpital, puisque Agnès Buzyn veut aussi inciter les professionnels à innover pour sortir de la problématique du trou de la Sécu et ses traditionnels coups de rabot pour rester "en ligne".  

L'autonomie, toujours le parent pauvre

C’est presque dix fois moins que la santé. La Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (Cnsa) a adopté fin novembre un budget de 25,4 milliards d’euros, en hausse de 3,5 % par rapport à l’année précédente. La nouvelle présidente de la Cnsa, l’ancienne ministre UMP de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy, Marie- Anne Montchamp, a expliqué récemment qu’elle souhaitait de nouvelles règles pour son budget et notamment un financement pluriannuel. Ce budget est issu pour 20,5 milliards de l’Ondam ainsi que 2,4 milliards qui proviennent de la contribution de la « journée de solidarité », le lundi de Pentecôte. Il sert essentiellement à financer des dépenses de fonctionnement et de personnels des établissements et services médico- sociaux mais également à verser l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), à financer les maisons départementales des personnes handicapées ou encore à rémunérer les astreintes des infirmières de nuit dans les Ehpad.

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Mais quelle mentalité de geôlier, que de vouloir imposer toujours plus de contraintes ! Au nom d'une "dette", largement payée, co... Lire plus

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