Cancer de la prostate : un médecin généraliste condamné pour retard de diagnostic

20/02/2018 Par Dr Philippe Massol
Urologie

Le débat sur l’intérêt du dépistage du cancer de la prostate par le dosage du PSA a des conséquences jusque dans les tribunaux. La Cour d’appel de Paris vient de condamner le Dr Pierre Goubeau à verser 27.500 euros à son patient en réparation de la perte de chance due à l'absence de dépistage précoce. Pour les juges, le généraliste a manqué à son obligation de surveillance.

  Dans un arrêt rendu le 25 janvier, la Cour d’appel de Paris a estimé qu’une fatigue inexpliquée et des épisodes de malaise auraient dû suffire à alerter le généraliste qui n’a, à l’époque, pas prescrit de dosage PSA. Cette affaire traduit sur le terrain juridique la guerre qui se joue entre les défenseurs et les adversaires du dosage du PSA pour le dépistage, avec, en guest star, le chirurgien urologue Guy Vallancien, ardent défenseur de cet examen biologique, et le Dr Dominique Dupagne, qui le conteste. Le patient réclamait 500.000 euros au Dr Goubeau, son médecin généraliste, estimant que ce dernier était responsable d’un retard de diagnostic ayant empêché toute intervention chirurgicale. L’histoire débute en octobre 2002 quand lors d’un examen complet de prévention auprès du centre de santé de la CPAM dont il relevait, le patient, âgé alors d'une cinquantaine d'années, s’était plaint de troubles de la miction ; un toucher rectal avait révélé une prostate "légèrement augmentée". Les résultats avaient été transmis au médecin généraliste que le patient consultait de façon régulière, notamment pour la surveillance d’une HTA traitée.   Cinq ans avant le premier dépistage   En septembre 2007, l’existence de douleurs et de troubles urinaires ont conduit son médecin traitant à prescrire un dosage du PSA et à adresser son patient chez un urologue. Ce spécialiste détecte un carcinome avec métastase osseuses et ganglionnaires, imposant un traitement par chimiothérapie, radiothérapie et hormonothérapie. C’est un an plus tard, en 2008, que le patient porte plainte, réclamant 500.000 euros à son médecin traitant pour un diagnostic fautif, qui a retardé la prise en charge de son cancer. Un rapport d’expertise remis en janvier 2009 a conclu à l’existence d’une faute du médecin traitant, en relation de causalité avec une perte de chance subie par le patient, la faute consistant à ne pas avoir réalisé dans les années ayant suivi les premiers signes en 2002 le diagnostic d’une pathologie prostatique par un dosage de PSA et un TR. En mai 2009, le praticien est condamné en référé par le Tribunal de grande instance (TGI) de Troyes à verser 15.000 euros à son ancien patient. Une décision confirmée en appel par la Cour d’appel de Reims en mai 2010. Pour cet appel, le patient avait reçu le renfort de l’Association des malades du cancer de la prostate (Anamacap), qui avait produit un avis du Pr Guy Vallancien concluant à la responsabilité du médecin.  Jugeant l'affaire sur le fond en mars 2013, le TGI de Troyes a finalement débouté le plaignant. La cour a conclu à l'absence de responsabilité du médecin traitant "compte tenu des données acquises de la science sur la période litigieuse", relatives au dosage PSA dans le cadre d'un dépistage systématique ou "du dosage PSA individuel sur la base des résultats des seuls examens de prévention pratiqués en décembre 2002". Le TGI a écarté des débats le rapport d’expertise qui laissait un doute sur la nature exacte de la faute reprochée au médecin généraliste et dont les conclusions étaient dépourvues d’assises médicales. Le TGI a retenu que la HAS ne préconisait pas un dépistage systématique dit de masse par le PSA et que les symptômes présentés par le patient pouvaient être évocateurs aussi bien d’une HBP que d’un cancer.     Pas de consensus   La cour d’appel de Reims avait confirmé ce jugement en appel en janvier 2015. La cour a rappelé dans cette affaire que la question était de savoir si... le dosage du PSA "devait intervenir dans le cadre d'un dépistage en l'absence de tout symptôme ou dans le cadre d'un diagnostic individuel en présence de symptômes. Il apparaît effectivement, pour les motifs pertinents développés par le tribunal et que la cour adopte, que les développements mêlent systématiquement les considérations propres au dépistage individuel avec celles relatives au dépistage de masse". Elle relève également que "l'absence de consensus scientifique sur le bénéfice supérieur de l'un ou l'autre des traitements met également en échec les conclusions expertales qui, sans élément de discussion critique, ont adopté comme pétition de principe que [le patient] avait la chance de bénéficier d'une chirurgie totale alors que son cancer, découvert seulement en 2007, n'était plus opérable". La cour fait également état de "l’absence de consensus scientifique sur l'opportunité préventive du dosage systématique de l'antigène de la prostate" en relevant les opinions contradictoires de la HAS, de l’Académie de médecine et de l’Association française des urologues (AFU). Enfin, s’agissant du retard de diagnostic fautif imputé au médecin traitant, la cour a conclu à l’absence de faute du médecin, tant au premier stade de la prise en charge du patient dans les suites immédiates de son examen au centre de santé en décembre 2002, que pour la période allant de 2003 à 2007. En avril 2016, la cour de cassation a cassé le jugement de la cour d’appel de Reims, estimant que les magistrats n’avaient pas "légalement justifié leur décision" et a renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Paris. C’est cette cour qui vient de condamner le Dr Pierre Goubeau à verser 27.500 euros de réparations pour n’avoir pas effectué de dépistage précoce à son patient. Dans son jugement, la cour souligne l’absence de recommandations officielles incitant le Dr Goubeau à réaliser le dosage à l’époque des faits, et estime que les problèmes de miction et le résultat du toucher rectal n’étaient pas suffisants pour signaler la présence d’un cancer. Elle lui reproche en revanche de n’avoir pas procédé à un suivi régulier de ces symptômes, et de ne pas avoir suffisamment pris en compte des signalements du patient qui, depuis 2004, se plaignait de fatigue. La cour a jugé qu'une fatigue inexpliquée et des épisodes de malaise suffisaient à alerter un médecin sur la possibilité d'un cancer de la prostate. Ces jugements successifs témoignent que la justice n’a eu pour autre choix que de... subir les incertitudes et les débats des experts concernant le dosage du PSA. Le premier rapport d’expertise, en 2009, affirmait qu’à l’époque des faits, le dosage PSA était recommandé en dépistage systématique, justifiant ainsi la faute professionnelle. Le Dr Dupagne avait publiquement dénoncé cette expertise, estimant que l’Anaes ne recommandait le dosage PSA ni dans le dépistage du cancer, ni dans l’hypertrophie bénigne de la prostate. Cette prise de position a été ensuite critiquée par le Pr Vallancien, dénonçant le soutien du Dr Dupagne au Dr Goubeau "via une campagne nationale orchestrée par un généraliste plus blogueur que médecin lui-même". Le Dr Dupagne a porté plainte auprès de l’Ordre des médecins.   Défaut de surveillance   Le Pr Vallancien a profité de la décision de la cour d’appel de Paris pour publier une tribune dans Le Point, dans lequel il souligne "l’urgence de mettre en place une politique de diagnostic précoce du cancer de la prostate". Il écrit que "c’est bien la honte qui m'amène à alerter les autorités publiques à la suite de la juste décision du tribunal de Paris de condamner en appel un médecin pour défaut de surveillance et donc de diagnostic à temps d'un cancer de la prostate chez un homme de 51 ans aujourd'hui envahi par les métastases". "Au moment où l'on célèbre la Journée mondiale du cancer, il serait temps de réunir les diverses instances concernées dont la Haute Autorité de santé (HAS) et l'Association nationale des malades atteints d'un cancer de la prostate (Anamacap) pour définir une nouvelle politique de détection précoce. Grâce à des recommandations sensées, il serait possible de réduire drastiquement le nombre de décès dus au plus fréquent de tous les cancers (plus de 70 000 cas, et 8 500 décès par an)". Cet avis n’est pas partagé par les épidémiologistes comme Catherine Hill (IGR). Elle rappelait... dans La Revue du Praticien ( "Le dépistage des cancers en France", 2014, 64, 307-309) que "les essais évaluant le dépistage par dosage du PSA ont donné des résultats contradictoires : un essai américain montre une augmentation non significative du risque de décès par cancer de la prostate dans le groupe dépisté et un essai européen montre une réduction significative de ce risque dans le groupe dépisté, l’ensemble des résultats des essais conduisant à une estimation de la réduction du risque de 0 à 22 %. Par ailleurs, les traitements du cancer de la prostate sont souvent invalidants ; on estime qu’un patient traité sur deux sera soit impuissant, soit incontinent".  Le dépistage du cancer de la prostate n’est donc pas recommandé par les agences, mais il continue à être défendu par les urologues et par des associations de patients. Selon Catherine Hill, "il est aussi défendu sur une base uniquement idéologique car les données sérieuses montrent son inutilité".

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