"En médecine, on est tous un peu déprimés" : après un burn out, cette interne se reconvertit en "coach" pour carabins
Comme beaucoup de carabins, Elena Fournier, interne, sombre, au cours de ses études, dans l’anxiété, la dépression et fait même un burn out. Epuisée, la jeune femme interrompt ses études, mais alors que sa vocation a toujours été d'"aider les autres", elle décide de lancer un groupe Facebook ainsi qu’un accompagnement en ligne pour apprendre aux autres étudiants à prendre soin d’eux et de leur santé mentale. Elle explique la genèse de son site colibri-libre.fr à Egora.
"Ce que je veux, c’est aider les autres à se sentir mieux." C'est avec cette vocation qu’Elena Fournier commence ses études de médecine en 2016, d’abord à Montpellier (Hérault) pour sa première année, puis à Nîmes (Gard) pour le reste de son externat. Mais cela ne se passe pas comme elle l’avait imaginé. Lorsqu’elle parvient en 5e année, la jeune femme, aujourd'hui âgée de 25 ans, découvre l’anxiété et plonge petit à petit dans la dépression. En 2022, elle passe les Épreuves classantes nationales (ECN). Une année décisive pour celle qui doit choisir sa future spécialité et qui renforce encore plus son mal-être. "Je voulais une spécialité générale, soit la médecine générale qui permet de toucher à plein de choses, soit la psychiatrie qui permet de traiter la personne dans son ensemble", explique-t-elle. Après beaucoup d'hésitation, Elena choisit la médecine générale. "Ce n’était pas ma spécialité de cœur, c’était plutôt la psychiatrie qui m’intéressait le plus, mais je ne me sentais pas capable de faire cinq ans d’internat", reconnaît-elle aujourd’hui.
Au terme de son premier semestre qu’elle passe à Fort-de-France, en Martinique, l’étudiante décide finalement de changer de spécialité. "Je me suis rendu compte que la médecine générale, ce n’était pas du tout ce que je voulais faire", estime Elena. Alors, elle opte pour la psychiatrie. Malgré ce changement, le moral de la jeune femme est en berne, elle sombre dans un burn out. "Je me sentais seule, j’avais l’impression de ne pas être à la hauteur, j'avais besoin d'échanger avec d’autres personnes qui vivent la même chose que moi."
Une safe place pour parler de santé mentale
Le 4 mars dernier, Elena crée un groupe Facebook pour permettre l’entraide entre carabins. "J’ai vu qu’il y avait beaucoup d’étudiants qui avaient l’air de rencontrer les mêmes problématiques que moi", confie-t-elle. "Le but du groupe est de créer une 'safe place", c’est-à-dire un endroit où on peut parler 'naturellement' de santé mentale.” Le groupe Facebook prend très vite - à l’heure où nous écrivons ce papier, plus de 1 800 étudiants sont inscrits. "Dès qu’il y a un qui poste, d’autres commentent, ils s’envoient des messages entre eux, ils se soutiennent lorsqu’ils vivent la même chose." Elena intervient aussi en publiant des posts thématiques. "J’essaye d’apporter des outils ou de témoigner sur des choses que j’ai vécues pour qu’ils se sentent moins seuls", poursuit la jeune femme.
Pour Elena, si les étudiants en médecine sont davantage sujets au mal-être psychologique, c’est avant tout "plurifactoriel", à cause de "la fatigue, du stress, des responsabilités et aussi de la pression de la réussite, c’est un petit cocktail". Elle ajoute qu'"il y a aussi une forte exposition à la maladie et à la mort pendant les études de médecine, qui est également très prenante en temps et en énergie". La jeune femme de 25 ans reconnaît que les carabins ont moins le temps de "développer une vie sociale, familiale, de faire du sport… toutes les choses qui vont finalement protéger des problèmes de santé mentale".
"La santé mentale, c’est un peu tabou"
Elle pointe également un manque de communication, que ce soit entre les étudiants eux-mêmes, mais aussi avec les enseignants. "La santé mentale c’est un peu tabou. On ne parle pas de comment on va. On en rigole presque, parce qu’on est tous un peu déprimés, un peu anxieux. On se dit que c’est normal parce qu’on est en médecine. Il y a une banalisation du fait de ne pas se sentir bien. Et forcément quand on n’arrive pas à faire la différence entre ‘je suis un peu déprimé parce que les études sont intenses et difficiles’ et ‘le moment où vraiment je ne vais pas bien du tout’, c’est qu’on a besoin d’aide. Et je trouve que c’est encore plus dur à distinguer quand on fait des études de médecine", ajoute-t-elle.
Lors de son burn out, Elena confie avoir consulté un psychiatre et une psychologue, "qui étaient vraiment bien". Ils ont pu lui apporter "un soutien psychologique, des médicaments", lui permettant "de sortir la tête de l’eau". Mais elle n’a pas eu "tous les outils concrets et cohérents dont [elle] avait besoin". En plus, elle a suivi un "accompagnement qui parlait du burn out". C’est ce dernier qui, selon elle, lui a appris à se poser les bonnes questions, à se connaître réellement. Alors elle a voulu créer, elle-aussi, quelque chose pour aider les étudiants en médecine à sa façon.
Pour cela, Elena lance son site internet colibri-libre.fr, en référence à l'oiseau symbole de l’engagement et de l’action chez les Amérindiens. "J’ai le sentiment de passer à l’action sur une thématique où beaucoup d’autres personnes constatent qu’il y a un problème mais sont démunis et ne savent pas quoi faire", admet-elle. Sur son site, elle propose des conférences en ligne via la plateforme Zoom avec 15-20 étudiants. "Je prépare un Powerpoint, où je raconte d’abord ce que j’ai vécu, puis j’aborde des thématiques, sur 'le fait de penser à arrêter ses études’, ‘le fait d’avoir envie d’être plus heureux…'", détaille-t-elle. Par exemple, si les étudiants envisagent d’arrêter leurs études, elle va essayer de répondre à plusieurs interrogations comme : Quelles questions faut-il se poser ? Comment avancer dans sa réflexion ? Comment faire ? Comment déculpabiliser de penser au fait d’arrêter ? L'interne précise...
qu’il y a une grosse partie d’échanges entre eux "pour qu’ils puissent se rendre compte qu’ils ne sont pas seuls à vivre cette situation et qu’on peut s’en sortir".
"Trouver un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle"
La jeune femme met également en place un accompagnement pour "ceux qui veulent aller encore plus loin". Des groupes de trois à quatre étudiants travaillent sur une même problématique pendant trois mois. Dans un premier temps, chacun a un entretien individuel avec Elena, afin d’identifier l’objectif final. "Dans 90% des cas, c’est trouver un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, parce qu’on n’est pas juste médecin." Ensuite, "toutes les semaines il y a des réunions où on fixe des micro-objectifs à réaliser pendant la semaine pour avancer vers l’objectif final". Les exercices consistent à essayer des techniques pour améliorer la santé mentale. Par exemple, "cela peut être d’essayer la cohérence cardiaque pendant 30 jours".
L'accompagnement qu’Elena propose est structuré sous forme d’une formation en ligne qui reprend quatre piliers de "psychologie et de développement personnel". Ces modules contiennent des "vidéos avec des ebooks [des manuels numériques, NDLR] dans lesquels on retrouve les exercices". Le premier pilier concerne la connaissance de soi, c’est-à-dire "apprendre à se connaître, définir ses besoins, ses valeurs, faire le point sur ce qui ne nous convient pas, sur la situation qu’on vit aujourd’hui et définir ce qu’on veut vivre à la place", détaille Elena. Une autre partie aborde le projet professionnel. L'interne propose aux participants de réaliser un ikigai. "C’est un concept japonais qui permet de faire le point entre ce qu’on sait faire, ce qu’on aime faire, ce dans quoi on est doué, ce qui peut nous rapporter de l’argent et ce dans quoi on est utile au monde. En faisant un mélange de tout ça, on obtient notre mission de vie."
Une autre partie est particulièrement nécessaire pour les carabins selon Elena : la confiance en soi. "Il y a une énorme problématique autour de la confiance en soi chez les étudiants en médecine, en particulier chez ceux qui doutent sur le fait d’arrêter leurs études". Enfin, le dernier pilier concerne la définition des objectifs, qu’ils soient à court comme à long termes. En plus de ces quatre thématiques, Elena conseille les participants sur la gestion de leurs émotions, du stress et sur toute la partie organisation. Elle les aide à se sentir moins fatigués, moins stressés, notamment grâce au sport, à l’alimentation… "Ce sont des conseils un peu basiques sur comment faire pour prendre soin de soi, parce qu’il y a beaucoup de choses qu’on n’applique pas", déplore-t-elle.
Au bout des trois mois d’accompagnement, chaque étudiant a un nouvel entretien individuel avec la jeune femme pour voir si les objectifs ont été atteints. "L’idée, c’est de proposer un plan pour la suite", ajoute-t-elle. Elle précise que pour l’instant, sur les 12 étudiants qu’elle a accompagnés, aucun n’a arrêté ses études. Car elle tient à rappeler que l’objectif de son accompagnement n’est pas de les encourager à arrêter.
400 euros par mois
Un mois après avoir lancé son premier accompagnement, en mai dernier, Elena a décidé de prendre une disponibilité et suspendu ses études de médecine. "Même si l’internat de psychiatrie était très intéressant, ce n’était pas ce que j’avais envie de faire", déplore-t-elle. Passionnée par son nouveau rôle de "coach", elle déclare aujourd'hui vivre uniquement grâce aux accompagnements qu’elle facture environ "400 euros par mois" et par étudiant, soit 1 200 euros pour l’accompagnement de trois mois. "Ça revient à peu près à faire une séance chez le psy par semaine", compare la jeune femme.
A l’heure actuelle, Elena n’envisage pas de reprendre ses études de médecine, même si elle garde toujours cette idée "dans un coin de sa tête". Depuis octobre dernier, la jeune femme estime aller "vraiment mieux" et avoir guéri de son burn out. Finalement, en voulant aider les autres Elena, s’est aussi un peu aidée elle-même. "Comme je n’arrivais plus à aller en stage à cause de mon burn out, je me sentais inutile. Le fait de parler avec d’autres étudiants et de les aider à se sentir mieux m’a permis de retrouver un sentiment d’utilité", indique-t-elle. Selon l’interne, cela a même "accéléré sa guérison".
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