Le Conseil d'État peut-il autoriser une reprise d'exercice malgré un avis défavorable de l'Ordre des médecins ?

15/05/2023
Saisi en urgence, le Conseil d’Etat peut ordonner la suspension immédiate d’une décision de l’Ordre ayant interdit à un médecin d’exercer du fait d’un état pathologique rendant dangereuse la poursuite de son exercice, notamment pour ses patients. 

 

 

A la suite d’un différend professionnel survenu à la fin de l’année 2020, une médecin pneumologue a, en raison de son état de santé psychique, cessé d’exercer pendant environ une année avant de faire l’objet d’une hospitalisation sans consentement entre février et avril 2022 pour "trouble affectif bipolaire" avec épisode de "dépression sévère". Informé par l’intéressée, en avril 2022, de ses troubles et de l’hospitalisation qu’elle a subie, le Conseil départemental de l’Ordre, estimant la réalisation d’une expertise psychiatrique nécessaire en raison de doutes sérieux sur la compatibilité de l’état de santé de ce praticien avec l’exercice de la médecine, décide de saisir le Conseil régional de l’Ordre en juin 2022.

Une expertise est alors réalisée par trois médecins psychiatres, qui aboutira aux conclusions suivantes : en premier lieu, aucun trouble psychiatrique n’a été décelé lors d’un entretien réalisé le 9 août 2022 avec l’intéressée, considérée par les experts comme "parfaitement stabilisée" et "asymptomatique". En second lieu, l’expertise montre que ce médecin fait l’objet d’un suivi médical régulier par un psychiatre et une infirmière et d’un traitement neuroleptique sans effets secondaires pénalisants. Enfin, il apparaîtra que cette médecin pneumologue a repris une activité professionnelle au sein d’une clinique, en juin 2022, à la satisfaction de son employeur. A l’unanimité, les experts concluent que l’état de santé de ce médecin est compatible avec l’exercice de la médecine, tout en insistant sur la nécessité de maintenir un suivi médical sur le long terme en raison d’un "risque de décompensation" lié à différents facteurs de fragilité.

Malgré cette expertise, plutôt favorable, l’Ordre, notamment national, décide de suspendre la praticienne pendant un an et de conditionner la reprise de son activité professionnelle aux résultats d’une nouvelle expertise. L’Ordre a considéré que le rapport des experts faisait état de la nécessité de la poursuite d’un suivi médical sur le long terme alors même que l’intéressée aurait indiqué lors de son audition que son état s’était dégradé et avait nécessité l’ajout d’un nouveau traitement médicamenteux de type antidépresseur et thymorégulateur.  

 

Procédure d’urgence 

Saisi en urgence par la médecin pour suspendre son interdiction d’exercice, le Conseil d’Etat a tenu à rappeler que le suivi médical et le traitement pris par la médecin n’étaient pas incompatibles avec la poursuite de son exercice et n’altéraient pas les...

conditions dans lesquelles elle exerçait ses fonctions. D’autant plus qu’elle n’avait fait l’objet d’aucune plainte de patients ni d’aucun reproche de son employeur. De son côté, la médecin a pu démontrer qu’elle suivait bien son traitement et qu’elle était consciente des troubles dont elle souffre. Devant le Conseil d’Etat, elle a fait valoir que cette décision de suspension d’exercice la privait de son unique emploi et d’une rémunération pendant un an alors qu’elle doit s’acquitter de dépenses lourdes. Les indemnités journalières qui lui sont versées par l’Assurance maladie jusqu’au terme de son arrêt de travail s’élèvent à un montant mensuel d’environ 1 500 euros, très inférieur à ses charges personnelles d’environ 3 000 euros, hors dépenses courantes et alors même qu’elle subvient aux besoins de son fils malade. 

Dans une décision du 13 janvier 2023, le juge des référés du Conseil d’Etat a donné raison à la médecin et suspendu la décision rendue par l’Ordre en ce qu’elle portait une atteinte suffisamment grave et immédiate à la situation de la requérante. Et le Conseil d’Etat de préciser que "si le Conseil national de l’Ordre des médecins fait valoir les risques que la reprise de son activité professionnelle pourrait présenter pour les patients, liés notamment au caractère cyclique des symptômes présentés par les personnes souffrant de troubles bipolaires…, il ne résulte pas de l’instruction que l’intérêt s’attachant à la préservation de la santé des patients ferait obstacle à la suspension de l’exécution de la décision litigieuse…". En sachant que l’Ordre, au vu d’éléments nouveaux émanant notamment de l’employeur de la médecin, peut saisir le juge des référés du Conseil d’Etat pour que la suspension prononcée soit de nouveau mise à exécution. 

 

Par Nicolas Loubry, juriste.
 
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