"Je n'ai pas l'impression de sacrifier ma vie" : infirmière et officier de marine, elle a repris ses études à 32 ans pour devenir médecin
Elle a commencé par une licence de biologie au Mans (Sarthe), puis deux années de Paces, des études d'infirmière à Paris, avant de devenir officier de la marine marchande au Canada. Aujourd'hui, Sandra, 35 ans, est étudiante en cinquième année de médecine à l'université d'Angers. Elle l'a intégrée en 2020 via une passerelle. Un choix, comme les précédents, qu'elle ne regrette pas. "Je n'avais jamais vraiment fait le deuil de la médecine. J'avais [simplement] acté le fait que j'avais raté deux fois la Paces et que la porte était totalement fermée", confie la Sarthoise d'origine.
Elle "ne sait pas trop" comment elle en est venue à faire ces choix. Mais elle a osé. D'abord infirmière en France puis au Canada, ensuite officier de la marine marchande, et enfin étudiante en médecine à l'université d'Angers : Sandra* a repris le chemin de la fac à 32 ans grâce à la procédure Passerelles. Elle en a aujourd'hui 35 et, elle l'assure, est loin d'être "la plus vieille" de sa promotion. "Ce sont de longues études, mais je n'ai pas de regret. Je savais que ça allait être long, glisse celle dont le parcours est tout sauf linéaire. C'est un choix de métier dont je suis vraiment très contente."
Sandra a pourtant hésité avant de se lancer. En 2006, alors qu'elle est en terminale, la lycéenne balance déjà entre les études de médecine et celles d'infirmière. La jeune femme – qui obtient un bac S "mention assez bien" – opte finalement pour la deuxième option. "C'est un peu cliché, mais je voulais aider les gens, leur faire du bien, prendre soin d'eux…", se souvient la Sarthoise d'origine. Quand la jeune bachelière se décide, il est déjà trop tard pour se lancer dans les concours infirmiers – supprimés en 2019, qui se tenaient alors au printemps. "En attendant de passer le concours, j'ai fait un an à la fac de biologie du Mans. C'était un peu la solution de 'facilité' pour éviter de ne rien faire pendant cette année. Et puis, ça m'a aussi permis de [vraiment] voir ce que je voulais faire de ma vie", précise-t-elle : "C'est dur à cet âge de faire un choix."
Un an plus tard, Sandra passe quatre concours d'entrée en école d'infirmière et en décroche trois, dont celui de l'Ifsi** de Paris. Elle enchaîne alors les cours et les stages. "J'aimais la technique, le fait d'être plus proche des patients", glisse la trentenaire. Si ses premiers pas dans la santé lui plaisent, ses envies de médecine la rattrapent rapidement : "La première fois que j'ai mis un pied à l'hôpital [lors de son troisième stage d'études infirmières, NDLR], j'ai vu ce que faisaient les médecins et j'ai tout de suite voulu faire comme eux." L'étudiante souhaite, elle aussi, approfondir l'aspect "diagnostic", "plus réfléchir aux stratégies". "Après ma première année à l'Ifsi, j'ai donc tenté de passer le concours de médecine deux fois, mais j'ai raté", rembobine-t-elle. Un premier échec pour Sandra qui, après deux Paces, décide de retourner à l'Ifsi pour valider ses deux dernières années d'études. "J'avais demandé un report de scolarité, car j'étais réaliste… On sait que [le concours d'entrée en médecine] ne se passe pas forcément bien, et ça ne s'est effectivement pas bien passé pour moi", lâche-t-elle.
"Je n'ai pas fui le métier d'infirmière"
En 2012, tout juste diplômée, la néo-infirmière débute par un an dans les urgences d'un hôpital parisien. Mais, là encore, l'un de ses rêves "d'ado" prend petit à petit le dessus : "Pendant mon adolescence, j'ai fait un échange au Canada, pourtant pas dans l'endroit le plus 'fun' du pays, mais j'en suis tombée amoureuse. J'avais décidé que, quand je serai grande, je viendrai habiter là-bas." Sandra s'envole donc pour le Canada en 2013 ; elle y restera sept ans.
A son arrivée, la Sarthoise est embauchée au CHU de Montréal, après un stage de trois mois pour "s'adapter aux différences de vocabulaires ou de médicaments" et obtenir une équivalence de diplôme. Lors de sa première année, Sandra est affectée en médecine interne. "J'allais dans plusieurs services de médecine et de chirurgie, explique l'infirmière, qui a travaillé près de deux ans dans cet hôpital. La deuxième année, j'ai été en soins intensifs, ce qui correspond à de la réanimation en France."
Mais déjà la jeune femme, de 27 ans à l'époque, songe à une nouvelle carrière. Chaque jour, depuis les rives de Montréal, elle voit les bateaux de marchandises défiler sur le fleuve Saint-Laurent. "J'ai vu qu'il y avait des personnes [sur ces navires], et j'ai regardé par curiosité les métiers de la marine." Sans trop savoir pourquoi, ce domaine l'attire : "Je me suis dit que ça avait l'air chouette." Personne dans sa famille n'avait jusqu'alors travaillé dans la marine ni même navigué. "J'ai beaucoup voyagé avec mes parents, mais je n'avais jamais fait de voile" ou de navigation, acquiesce Sandra.
L'infirmière n'hésite pourtant pas très longtemps et "tente le coup" : elle quitte le CHU de Montréal en 2015 et débute une formation de trois ans pour devenir officier de la marine marchande. "Je l'ai [surtout] fait par curiosité, pense-t-elle, aujourd'hui. Je n'ai pas fui le métier d'infirmière, mais je suis allée vers un autre domaine qui avait l'air intéressant." Dans l'institut qu'elle intègre à Vancouver – et où elle est l'une des seules femmes -, Sandra alterne entre de longues périodes de cours et d'autres de stages : "On commence par faire de la peinture sur le bateau, du nettoyage, des manœuvres [pendant ces stages, NDLR]… Puis, comme officier, on fait de la navigation, le chargement, le déchargement, le inspections du matériel de sécurité…"
"Beaucoup de personnes pensent qu'un bateau de marchandises va d'un point A à un point B et, qu'entre temps, il y juste de la conduite à faire. En réalité, il faut entretenir le bateau, prendre soin du monde qui est à bord, mais il faut aussi le charger, le décharger…", détaille Sandra.
Lors de son premier stage, l'apprentie officier reste cinq mois sur le même navire. "Je ne voulais pas en partir. J'étais offshore vers Terre-Neuve [dans l'est du Canada, NDLR] et j'ai adoré ce milieu. On était au pied des stations offshore et on faisait des aller-retours" sur la côte, raconte-t-elle. Une autre fois, alors qu'elle navigue dans la Baie d'Hudson au nord du Canada, son bateau est entouré par la glace. Le moment est magique : "C'était au début de la saison, se rappelle Sandra. Le capitaine m'a dit :'Tu te rends compte, il y a des gens qui paient des fortunes pour être là ! Et nous, on est payés pour y être'."
"Je n'avais jamais vraiment fait le deuil de la médecine"
A la fin de sa formation, la Sarthoise passe le cap de la trentaine et enchaîne deux années sur l'eau. "J'ai surtout été dans l'est Canadien. J'ai aussi navigué sur l'Arctique, dans les Grands Lacs et un mois en Europe. On a navigué en Irlande et jusqu'à Saint-Pétersbourg, en passant par la Norvège", énumère-t-elle : "Mais je n'ai pas pu beaucoup visiter, c'est un peu mon grand regret."
Début 2020, la pandémie de Covid-19 surgit et chamboule tous ses projets. Sandra rentre précipitamment en France : "Je suis revenue à Paris pour donner un coup de main [aux soignants]." Cinq ans après avoir quitté sa blouse d'infirmière, elle la renfile pour deux mois à l'hôpital Tenon (AP-HP). "J'appréhendais, mais on n'oublie pas grand-chose", glisse celle qui, à cet instant déjà, c'était remise à rêver de médecine. Peu avant son retour en France, la trentenaire avait envoyé un dossier à l'université d'Angers pour tenter d'intégrer les études de médecine. L'arrêté du 24 mars 2017 permet, en effet, aux infirmières et à d'autres professions (ingénieur, doctorant…) d'accéder – sous conditions - en deuxième ou troisième année de médecine via la procédure Passerelles. "J'ai découvert [son] existence fin 2019, donc j'ai tenté. Je n'avais jamais vraiment fait le deuil de la médecine, confie Sandra. J'avais acté le fait que ce n'était [plus] possible, car j'avais raté mes deux années [de Paces], et que la porte était totalement fermée…"
Cette dernière se rouvre pourtant en juin 2020 : Sandra apprend – comme les six autres passereliens de sa promotion - qu'elle est admise en deuxième année à la faculté de médecine d'Angers. "J'étais contente sur le coup, puis je me suis rendu compte de ce que ça impliquait. Je devais quitter un métier que j'aimais, dans une ville que j'aimais aussi. J'ai hésité à me présenter à la rentrée", avoue l'ex-officier : "Mais ça aurait été vraiment dommage." Car, malgré des premiers mois difficiles à réviser pour tenter de "rattraper" son retard, Sandra en est certaine : elle a fait le bon choix.
"J'essaye de ne pas trop me mettre la pression"
Pour l'ancienne infirmière, les longues heures de bachotage ne sont pas un problème. "C'est comme si j'avais un job à plein temps, je n'ai pas l'impression de sacrifier ma vie", assure l'étudiante, désormais en cinquième année. Sandra compte sur ces prochains mois pour multiplier les stages. "Jusque-là, je n'ai eu que des stages que je voulais : je suis allée en réanimation, en maladies infectieuses, aux urgences... J'ai aussi fait de la médecine générale et du travail dans une caserne militaire", sourit l'Angevine d'adoption qui, l'été dernier, est retournée à Montréal pour cinq semaines de stage. Son passé d'infirmière l'a, selon elle, "beaucoup aidée" durant ces expériences à l'hôpital :"J'étais moins intimidée, surtout pour le premier stage [de médecine]. Je connaissais le contact avec les patients, le matériel et qui faisait quoi à l'hôpital…"
Pour son internat, Sandra envisage de s'orienter vers la médecine générale. "J'hésite [aussi] avec les urgences, car j'aime beaucoup cette spécialité, mais […] je ne veux pas être coincée aux urgences jusqu'à la fin de ma carrière, explique-t-elle. N'ayant pas beaucoup cotisée dans ma vie, je sais qu'il va falloir que je travaille à peu près jusqu'à ma mort. Et la question est : 'physiquement, est-ce que je serais capable de travailler aux urgences jusqu'à 70 ans ?'"
Dans moins de six mois, elle passera les Épreuves dématérialisées nationales (EDN), mises en place à la rentrée 2023 . Une échéance cruciale pour l'étudiante, puisque ces examens comptent pour 60% dans la note déterminant sa spécialité et sa subdivision d'affectation. "J'essaye de ne pas trop me mettre la pression, car ça ne sert pas à grand-chose", relativise la carabine. En attendant ces épreuves, elle compte profiter de l'été pour s'envoler – sans grande surprise - de nouveau au Canada. L'occasion pour Sandra de retrouver son frère, qui s'est installé à Vancouver, et peaufiner ses révisions : "Je vais mettre mes bouquins dans ma valise et travailler depuis là-bas."
*Sandra a préféré ne pas donner son nom de famille.
**Institut de formation en soins infirmiers (Ifsi).
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