Troubles de l'érection, zoophilie, nymphoplastie... les ravages du porno chez les ados
Demandes de nymphoplastie, troubles de l'érection, addiction… Qu'ils soient gynécologues, sexologues ou psychiatres, ces médecins voient défiler dans leur cabinet de nombreux jeunes ados perturbés par les vidéos porno, parfois violentes, qui circulent sans contrôle sur internet et les réseaux sociaux. Président du Collège national des gynécologues-obstétriciens (CNGOF), le Pr Israël Nisand en a fait son combat.
"Mon fils est zoophile." C'est une mère "affolée" que voit débarquer dans son cabinet le Dr Marie-Hélène Colson, médecin sexologue à Marseille. "Elle a trouvé son fils en train de se masturber contre le chat", rapporte la spécialiste. A 16 ans, l'ado n'a "aucun ami" : "en 6 ans, il a changé 4 fois d'école". Fils de médecins, "il regarde du porno depuis ses 9 ans". Pour la sexologue comme pour ses confrères gynécologue et psychiatre présents aux côtés du Pr Israël Nisand ce jour-là, la pornographie est désormais "une réalité clinique" chez les mineurs. "Véritable addiction" Selon les résultats d'une récente enquête Ipsos*, 15% des jeunes de 14 à 17 ans regardent du porno au moins une fois par semaine ; 9% des 14-24 ans en visionnent quotidiennement et 5% plusieurs fois par jour. Pour certains, c'est devenu une "véritable addiction", assure le Dr Serge Hefez, psychiatre à La Pitié-Salpêtrière (AH-HP). "Ces dernières semaines, j'ai vu trois jeunes de 14-15 ans en consultation, témoigne-t-il. Toute leur énergie était mise à profit par ce huis-clos avec eux-mêmes. Ils y revenaient en permanence, mais sans plaisir… juste pour combler le manque et le besoin." Que les parents se rassurent : "Les adolescents sont normalement dans cette quête de sexualité. On cherche à savoir, à voir", explique le psychiatre. Mais trop souvent, ces images s'imposent à eux. Une pop-up sur internet, une vidéo visionnée par la bande sur un smartphone à la récré… Plus de la moitié des 15-17 ans qui ont déjà visionné du porno sont "tombés dessus", d'après un sondage Ifop dévoilé en mars 2017. Et cela laisse des séquelles "chez les plus jeunes et les plus fragiles", déplore le Dr Colson. "L'imaginaire demeure captif et la réalité devient ce que l'on a vu dans les films", constate la sexologue. "Cette effraction créé un trauma, avec une dissociation, comme un viol psychique. Les images deviennent de pures images désaffectées par rapport aux émotions", confirme le Pr Hefez, qui déplore également l'effacement de la "frontière entre fantasme et réalité". "Je n'ai rien contre le porno. Mais ce sont des images faites par des adultes, pour des adultes, martèle le Pr Israël Nisand, qui alerte depuis plusieurs années sur les ravages du porno chez les mineurs. Lui qui intervient une fois par semaine dans les collèges de la région de Strasbourg dans le cadre du dispositif "Info-ado" est appelé "de plus en plus tôt". "On me demande de venir parce qu'il y a eu une fellation collective dans les toilettes. J'ai des questions sur la zoophilie ! s'alarme-t-il. Ils veulent savoir ce que les 'meufs' aiment. Les gamins de 11-12 ans n'ont pas l'appareil critique pour se défendre face à ces images." "Troubles de l'éréction" Loin d'être anodin, le porno fait des dégâts soulignent les experts. Le Dr Colson assiste à l'émergence d'une sexualité "dominant/dominé", "vide de désir", "décentrée de l'affectivité", perturbée par "l'angoisse de la performance". Complexés par la taille de leur sexe, de jeunes garçons peuvent développer "de vrais troubles de l'érection", souligne la sexologue. Les pratiques sexuelles changent : cunnilingus, fellation, sodomie, voire éjaculation faciale, deviennent des "prérequis" alors qu'ils n'étaient que peu pratiqués il y a quelques décennies. Les gynécologues et chirurgiens plastiques voient débarquer des jeunes filles de 14-15 ans, intégralement épilées à la manière des actrices porno, qui leur réclament une nymphoplastie "car elle trouve que leur vulve n'est pas normale. On a créé une norme anatomique, on a empêché les jeunes de se constituer leur propre arsenal psycho-sexuel", se désole le Pr Nisand. Le président du CNGOF va jusqu'à faire le lien entre porno et augmentation des viols de mineurs par des mineurs. "Je suis surpris de voir que l'on s'étonne de l'augmentation des violences faites aux femmes dans un pays où on apprend aux jeunes le non-consentement, assène-t-il. Le porno, c'est l'humiliation de la femme." Les mises en garde du président du CNGOF sont pour l'instant restées lettre morte. "Le porno, c'est cool. Les politiques ont peur d'être ringards", interprète le lanceur d'alerte. Quant à la loi de 2001 sur l'éducation à la vie affective et sexuelle, qui impose 3 séances par an dans les écoles, collèges et lycées, elle n'est appliquée "nulle part", dénonce le Pr Nisand. Les opérations pilotes menées en Basse-Normandie, Seine-Saint-Denis et Val de Marne dans le cadre du programme "Des gynécologues à la rencontre des adolescents" ** témoignent pourtant du besoin d'informations des ados. "La pilule, l'avortement, tout ça ils le voient en cours de SVT, remarque le Dr Ghada Hatem, gynécologue-obstétricienne à Saint-Denis, fondatrice de la Maison des femmes. Ils ont besoin qu'on leur parle de sentiments, d'émotions, de respect…. De comment dire non à un garçon alors qu'on a accepté de monter dans sa chambre." Pour le Pr Nisand, qui encourage à ses internes à intervenir devant des classes de 3e, le service sanitaire qui va concerner 45.000 étudiants en santé à la rentrée pourrait pallier les manquements de l'Education nationale en la matière. "Les étudiants en médecine de 3ème année ont la proximité langagière avec les jeunes, souligne-t-il. Encore faudrait-il qu'ils soient formés." Mais c'est à la racine du mal que le Pr Nisand veut s'attaquer, en frappant au porte-monnaie des fournisseurs d'accès à internet, qui sont localisés sur le territoire national. "Ils devraient avoir l'obligation d'empêcher les mineurs de consulter des sites pornographiques en imposant des codes fournis à partir de la présentation de la preuve de la majorité ou en imposant une carte bancaire systématique", juge-t-il, réclamant 10 millions d'euros à la première infraction et 50 millions en cas de récidive. Et le gynécologue de s'interroger : "Est-ce qu'on peut s'affranchir de la protection des mineurs sous prétexte que l'on gagne des milliards avec Internet?" *Les addictions chez les jeunes, 8 juin 2018. Enquête menée pour le compte de la Fondation pour l'innovation politique, le Fonds Actions addictions et le groupe mutualiste VYV, auprès de 1000 jeunes de 14 à 24 ans. **Soutenu par le Fonds pour la santé des femmes et le CNGOF. A ce jour, plus de 70 interventions ont été menées.
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