"Si je n'avais pas été étudiante en médecine, je serais peut-être morte" : à 20 ans, elle est victime d'un AVC diagnostiqué 2 mois plus tard
En juin dernier, Marion Da Ros Poli, 20 ans, est prise de vertiges alors qu'elle est en vacances en Corse. L'étudiante en médecine fait en réalité un AVC, qui ne lui sera diagnostiqué que deux mois plus tard à Paris. Si elle s'estime "chanceuse" au vu de ses séquelles, l'apprentie blouse blanche souhaite alerter sur les risques d'AVC et sur le manque de moyens médicaux en Corse, son "île natale". "Si je n’avais pas été étudiante en médecine, je serais peut-être morte d’un second AVC dans les semaines qui ont suivi", lâche celle qui est désormais en quatrième année de médecine. Elle partage son histoire sur le réseau social X.
Il y a maintenant 4 mois, j’ai été victime d’un accident vasculaire cérébral. À 20 ans.
Mais ce diagnostic, je ne l’ai entendu de la voix d’un médecin que 2 mois après cet incident.— Marion Da Ros Poli (@mariondrp) October 20, 2024
"Il y a maintenant 4 mois, j’ai été victime d’un accident vasculaire cérébral. À 20 ans. Mais ce diagnostic, je ne l’ai entendu de la voix d’un médecin que 2 mois après cet incident.
Le 16 juin 2024, je suis en vacances en Corse avec mon copain. Nous sommes en train de monter les marches de la citadelle de Calvi quand un mal de tête apparaît. Moi qui suis migraineuse, je n’y prête pas attention et continue de marcher.
Ayant une bicuspidie aortique de naissance, je suis facilement essoufflée. Après notre ascension, je demande donc à m’assoir sur un banc. C’est alors qu’en discutant avec mon copain qui me tenait la main gauche, je ressens des picotements dans celle-ci. D’un coup, mon bras semble complètement glacé, bloqué. Je me demande ce qu’il m’arrive, et tente de dire à mon copain que je ne sens plus mon bras. J’ai alors la bouche complètement engourdie, j’ai l’impression de ne pas réussir à parler, de baver, d’être anesthésiée.
Ma vision se trouble, mon champ visuel est réduit, je peine à voir la mer face à moi. Je panique, car, étant étudiante en médecine et mon copain en pharmacie, nous comprenons que quelque chose ne va pas. Ces symptômes durent quelques minutes, et petit à petit, je retrouve les sensations de mon bras et ma vision (bien qu’elle reste floue). Seule ma voix reste 'monotone' et je peine à articuler, du fait de ma bouche engourdie.
"J'en veux énormément au personnel soignant m'ayant reçue"
Après un arrêt rapide pour acheter de quoi m’hydrater (complètement délusionnelle, je pensais que c’était un coup de chaud), mon copain insiste pour que nous nous rendions aux urgences. Et à partir d’ici, j’en veux énormément au personnel soignant m’ayant reçue. L’infirmière d’orientation à l’accueil, à la description de mes symptômes, est inquiète. Elle me fait passer en priorité. Une étudiante infirmière prend mes constantes, et me pose des questions sur mes antécédents (bicuspidie, potentielle HTA mais jamais diagnostiquée…).
On m’amène alors sur un brancard dans un box et on me fait un bilan sanguin (qui s’avérera normal). Voilà que débute 1h d’attente sans que personne ne vienne me voir pour m’évaluer. Après cette heure, un médecin arrive enfin. Il réalise un examen neurologique, bien trop rapide pour une patiente suspecte d’AVC. A posteriori, mon score NIHSS devait être à 7, mais au vu de son évaluation, il n’a pas pris le temps de le calculer complètement.
Il m’annonce alors qu’il va me faire faire un scanner injecté 'pour être sûr qu’il n’y a rien' et que s’il est normal, je pourrais ressortir. Je passe donc le scanner, à H+3, celui-ci est normal.
Le médecin m’apporte donc mon dossier et me dit qu’il s’agit sans doute d’une aura migraineuse, que je n’ai pas à m’en faire. Tout de même un peu consternée, je lui demande si je peux avoir de l’aspirine, au cas où ce soit plus grave. Il me dit oui, 'si ça peut vous rassurer, on peut même vous prescrire une IRM à faire en ville dans la semaine qui arrive'. J’acquiesce, ils me ramènent les ordonnances et à H+4, me laisse sortir.
Pas d’évaluation neurologique complète, pas d’IRM, pas de thrombolyse, et si je n’insistais pas, pas de traitement de sortie ni d’IRM. Et pourquoi ? Par manque de moyens ? Par manque de compétences ? Parce que personne ne croyait à l’AVC de la petite jeune de 20 ans ? Qui sait…
Le mardi, je vois un neurologue qui ne s’inquiète pas le moins du monde et affirme lui aussi qu’il s’agit d’une aura migraineuse. Le jeudi suivant, je réalise l’IRM prescrite. Le vendredi, je reçois les résultats : 'individualisation de plages d’allure ischémique récente, dont la plus grande mesure 18mm de long'. Il n’y a pas de conclusion, pas de 'probable AVC ischémique', seulement des observations, et bien qu’étudiante en médecine, je ne veux pas aller trop vite sur un diagnostic.
Alors, je renvoie ces résultats au neurologue. J’attends toujours une réponse ce jour. Et me voilà, à 20 ans, pendant l’été, en Corse, avec ce résultat d’IRM, mon aspirine, et l’impossibilité de voir un médecin pour un diagnostic précis, non fait par le radiologue ayant analysé mon IRM.
"C'est le 27 août qu'on m'annonce que j'ai bel et bien fait un AVC"
C’est grâce aux connaissances de ma famille que j’obtiens un rendez-vous à l’hôpital Raymond-Poincaré, en août (ne retournant sur le continent qu’à la fin août, je ne pouvais accepter de rendez-vous plus tôt). C’est le 27 août qu’on m’annonce que j’ai bel et bien fait un AVC. C’est ce 27 août qu’on commence à me prendre en charge, qu’on me programme une hospitalisation en HDJ, qui révélera d’ailleurs que mon rétrécissement aortique est plus que serré (46mmHg de gradient), alors qu’il était mesuré à 32mmHg en Corse. Dégradation soudaine ou erreur de mesure ? Je ne m’avancerai pas.
Nous voici maintenant en octobre, et je sais que je vais devoir subir une opération de ma valve afin de la remplacer, car c’est elle qui était à l’origine de mon AVC. Si je n’avais pas eu ce rendez-vous sur Paris, je n’aurai jamais su tout ceci. Et si je n’avais pas été étudiante en médecine, je serais peut-être morte d’un second AVC dans les semaines qui ont suivi. Cependant, le patient lambda habitant en Corse n’est peut-être pas étudiant en médecine, et n’a peut-être pas de connaissance sur Paris.
C’est ici tout l’intérêt de ce long thread. Je veux alerter sur le manque de moyens médicaux constaté sur mon île natale. Je veux rappeler aux gens que l’AVC est une urgence vitale, et qu’il ne devrait pas être pris à la légère. Je veux faire en sorte que ce qu’il m’est arrivé, bien que je sois chanceuse au vu de mes séquelles, ne se reproduise pour personne. Je m’excuse encore une fois pour la longueur de ce thread, mais il me semble plus à sa place sur Twitter que dans mes notes.
PS : j’étais en fin de troisième année au moment de mon AVC, je n’avais que très peu de notion de médecine. C’est à posteriori qui je parviens à déceler ce qui n’a pas été, après plusieurs gardes en neurologie, et l’apprentissage de l’item 'accident vasculaire cérébral' dans mes livres de médecine. Item que tout médecin doit connaître, dès sa 4eme année d’apprentissage.
Je remercie celles et ceux qui auront lu jusqu’ici, j’espère que le gouvernement et les politiques corses verront qu’une fois de plus, il y a un sérieux problème concernant la prise en charge médicale sur notre île."
Thread initialement publié le 20 octobre sur X (anciennement Twitter) par Marion Da Ros Poli (@mariondrp)
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