Un sacrifice supplémentaire ? Les étudiants et jeunes médecins opposés au "service médical à la Nation"
Les doyens de médecine ont évoqué, jeudi 17 octobre, la possibilité d'instaurer un "service médical à la Nation" pour les jeunes médecins. Censée pallier la mauvaise répartition des praticiens sur le territoire, cette proposition peine à convaincre les représentants des jeunes et les futures blouses blanches qui se questionnent sur son utilité.
Jeudi 17 octobre, à l'issue d'une journée de colloque sur "les médecins de demain", la Conférence des doyens de médecine s'est montrée favorable à l'instauration d'un nouveau "service médical à la Nation". Cette mesure à destination des jeunes praticiens est censée pallier la mauvaise répartition des médecins sur le territoire et éviter les mesures coercitives. Celle-ci prévoit que les nouveaux praticiens diplômés et thésés s'implantent une année dans une zone sous-dotée, contre une rémunération. "Une façon de rendre à la Nation ce qu'on leur a donné, à savoir, se former", a glissé le Pr Benoît Veber, président de la Conférence.
Pas encore "officielle", le mesure pourrait être "présentée au ministère" ; elle est pourtant loin de convaincre les principaux intéressés. "Ce genre de proposition n'est qu'une redite", lance ainsi Bastien Bailleul, président de l'Isnar-IMG*.
Contacté par Egora, il pointe du doigt l'inadéquation de cette mesure. Selon le représentant syndical, qu'elle soit sur la base du volontariat ou non – élément qui n'a pas été précisé par les doyens – "cette proposition implique une forme de régulation sur contrat des jeunes médecins, mais cela ne résoudra pas les problèmes d'accès aux soins", indique-t-il. "On a une pénurie globale de médecins en France, avec un vieillissement de la population. On a [donc] un problème de quantité de soins, et non uniquement de démographie comme l'ont avancé les doyens." Obliger ou inciter "les médecins à se rendre dans des zones sous-dotées ne fera donc que déplacer le problème sans l'adapter aux causes", insiste Bastien Bailleul.
Le risque d'un "turn-over"
Le président de l'Isnar-IMG craint, par ailleurs, qu'un "service médical sur un an ne permette pas d'instaurer un suivi régulier des patients". "Le risque est d'avoir un [simple] turn-over d'un an des médecins" sans que ces derniers ne s'installent durablement sur ces territoires, poursuit-il.
Une vision partagée par le Dr Raphaël Dachicourt, à la tête de Reagjir*. Selon le praticien, présent ce jeudi 17 octobre, "l’objectif est d’avoir des installations pérennes de médecins traitants pour avoir un suivi au long cours de la population et non un turn-over annuel de médecins inexpérimentés qui crée un suivi fragmenté, et donc de moindre qualité." Les généralistes, qui vont devoir suivre une année de plus avec la réforme de l’internat de médecine générale, ne devraient pas consentir à "sacrifier une année supplémentaire après avoir donné quatre ans pendant leur internat dans des conditions peu enviables", a-t-il ajouté.
Du côté de l'Isni*, on regrette que ce "service médical" sous-entende pour les carabins la nécessité de "rendre à la Nation ce qu'elle leur a donné". "Au bout de dix ans d'études minimum, et après avoir fait trois ans d'externat en étant payés moins qu'un stagiaire habituellement en France, et avoir travaillé en moyenne 59 heures par semaine pendant l'internat en étant payés en dessous du Smic horaire…. Ça fait un peu mal d'entendre qu'il faudrait qu'on rende quelque chose à la Nation", déplore Killian L’helgouarc'h, président du syndicat.
De plus, ce projet de "service médical" "me parait un peu simpliste, poursuit-il, car il ne revient pas sur les vrais freins à l'installation médicale que sont la connaissance du territoire, l'accompagnement à l'installation des internes… On est sur le b.a.-ba de la coercition qui est de dire qu'on va forcer les jeunes médecins à travailler là où ils n'ont pas forcément envie."
"On se méfie beaucoup"
Au-delà du critère indispensable de volontariat – sans lequel tous s'opposent fermement à ce dispositif -, les représentants des étudiants et jeunes médecins s'interrogent plus largement sur les contours de ce "service médical à la Nation". "Qu'entendent-ils derrière ce 'service médical' ? Quelles zones seront concernées ? Qu'est-ce qui le différencie de la coercition ?", liste Lucas Poittevin, président de l'Anemf*. Alors que les discussions autour des budgets de l'Etat et de la Sécurité sociale débutent ce lundi, le représentant étudiant craint que cette proposition ne soit "reprise à de mauvaises fins". "On se méfie beaucoup, indique-t-il. C'est assez imprudent [de la part des doyens, NDLR] de dévoiler un dispositif sans apporter plus de précisions dans ce contexte budgétaire."
Par ailleurs, ce service médical n'est pas sans rappeler le contrat d'engagement de service public (CESP). Crée en 2009, il prévoit que des carabins volontaires s'engagent, en contrepartie d'une allocation mensuelle de 1 200 euros bruts, à exercer à la fin de leur formation dans une zone sous-dotée. La durée d'engagement est égale à celle durant laquelle l'allocation a été versée et ne peut être inférieure à deux ans. Mais les étudiants s'engageant dans ce dispositif manquent cruellement d'accompagnement, selon Bastien Bailleul. "Seuls 20% des étudiants avec un CESP ont un suivi avec un tuteur, et parmi eux seuls 20% ont un suivi régulier. Il y a peu de suivi, et beaucoup d'étudiants finissent par rompre leur contrat", soutient le président de l'Isnar-IMG. "On doit donner les moyens de fonctionner correctement à ce dispositif, qui permet un réel engagement des médecins sur le territoire. Cela aurait un réel impact."
Surtout, les représentants des étudiants et jeunes médecins s'étonnent ne pas avoir été informés par les doyens des réflexions autour de cette nouvelle proposition. "Nous n'avons pas été concertés", avance Killian L’helgouarc'h de l'Isni. "Les doyens ont dit qu'ils voulaient coconstruire la réforme avec les étudiants. Mais nous sommes étonnés, car nous n'avons n'a pas été informés en amont, confirme Bastien Bailleul. Ils parlent de coconstruire, mais ne nous ont pas prévenus. C'est un peu dommage."
*Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (Isnar-IMG) ; Intersyndicale nationale des internes (Isnsi), Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf), Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants (Reagjir).
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