Cette étude "vise à fournir un recueil fiable et à jour du rôle de la médecine et des professionnels de la santé dans le développement et la mise en œuvre du programme antisémite, raciste et eugénique du régime nazi, qui a abouti à une série d'atrocités et, finalement, à l’Holocauste", peut-on lire dans en préambule du rapport publié dans The Lancet, ce mercredi 8 novembre. Il est le fruit d’un travail réalisé par une commission composée de 20 universitaires internationaux – médecins, historiens... – appuyé par un conseil consultatif étudiant. Il s’inscrit dans un projet plus vaste d’étude de l’histoire de la médecine.
"Les crimes n'ont pas été commis uniquement par des médecins extrémistes" ou "sous la contrainte", indiquent les auteurs, qui veulent balayer "les idées fausses circulant depuis longtemps" pour minimiser la responsabilité de la profession. "En 1945, 50 à 65% des médecins allemands [non juifs] avaient rejoint le parti nazi, une proportion bien plus élevée que dans toute autre profession universitaire", quantifie l’étude. Ceci pourrait s’expliquer par "la promesse" donnée à ces praticiens "de défendre [leurs] intérêts", "en évinçant" leurs confrères juifs de la profession. "L’une des premières initiatives" antisémites des Nazis fut d’ailleurs "le boycott des entreprises juives, le 1er avril 1933, qui incluait explicitement les cabinets de médecins juifs".
La médecine a occupé une "place importante" dans l’Allemagne nazie, notamment du fait de "l’obsession de la race et de l’hérédité", avancent les auteurs de ce document de près de 80 pages, décrit comme "le plus complet" réalisé à ce jour "sur les atrocités commises". "Le rôle de la médecine était de purifier et de renforcer le ‘corps national allemand (Volkskörper)", est-il écrit. Au total, les programmes eugénistes, d'euthanasie et les "expériences humaines brutales" mis en œuvre dans un cadre médical ont fait "au moins 230 000 morts", parmi les handicapés, les patients juifs et les déportés, dont 7 000 à 10 000 enfants. Entre 300 000 et 350 000 stérilisations forcées ont été pratiquées.
Des nombreux crimes impunis
"Contrairement aux idées reçues", "la médecine dans l'Allemagne nazie" n'était pas "une pseudo-science", avancent les auteurs. "Certaines des connaissances acquises" dans le cadre de recherches nazies "font encore aujourd’hui partie du canon médical", peut-on lire dans le rapport. "La compréhension actuelle des effets du tabac et de l'alcool sur le corps a été alimentée par des recherches menées à l'époque nazie", illustre-t-il. En outre, des médecins criminels ont acquis une certaine renommée après la Seconde Guerre mondiale, sans que le contexte de leurs recherches ne soient révélé.
C’est notamment le cas du doyen de la faculté de médecine de Vienne, Eduard Pernkopf. Son Atlas anatomique, commencé au début des années 1930, représente très probablement des victimes du régime nazi. Il a servi de référence même outre-Atlantique jusqu’à ce que des rumeurs sur ses liens avec le régime nazi et la nature de ses travaux n’aboutissent au retrait du marché par son éditeur à la fin des années 1990. Autre figure citée dans le document : la Dre Elisabeth Hecker, considérée comme "la fondatrice de la psychiatrie juvénile en Allemagne" pendant "des décennies". En 1979, elle a reçu la Croix du mérite alors qu’elle a été impliquée dans le meurtre organisé de nombreux enfants.
"Dans l’ensemble, le procès des médecins de Nuremberg avait une portée limitée et ne rendait pas compte de toute l’ampleur des atrocités médicales perpétrées à l’époque nazie, souligne l’étude du Lancet. L'accent a été mis sur quelques expériences humaines spécifiques, mais des actes tels que les stérilisations forcées ont été minimisés." Les auteurs relèvent que si de nombreuses expériences ont été laissées de côté, c’est "en partie parce que l’ampleur des atrocités n’était pas encore connue à l’époque". Outre le procès des médecins de Nuremberg, "il y a eu diverses autres procédures pénales", mais "de nombreux crimes médicaux – y compris la plupart des meurtres de patients – n’ont jamais fait l’objet d’une enquête". Il y a "peu de condamnations" et certains auteurs ont poursuivi leur carrière".
Devoir de mémoire
"Ce n’est qu’en comprenant et en réfléchissant sur l’histoire que nous pouvons pleinement comprendre le présent et façonner un avenir meilleur", estiment les auteurs, qui formulent un certain nombre de recommandations à la lumière de ces atrocités. "Chaque programme de formation destiné aux professionnels de la santé dans le monde devrait inclure un apprentissage de l’histoire de l’implication médicale dans le nazisme et l’Holocauste", écrivent-ils d’emblée, déplorant que les connaissances sur ces faits historiques soient limitées, "hormis peut-être une vague notion des expériences de Josef Mengele à Auschwitz".
Ils affirment également que ce devoir de mémoire doit permettre aux médecins d'apprendre à s'opposer à des directives posant des dilemmes éthiques, et à protéger les plus vulnérables.
[avec AFP]
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