Lecteur d'Egora, le Dr Alain Rauss a suivi avec intérêt le procès Mediator, qui s'est conclu le 6 juillet par de lourdes réquisitions à l'encontre des Laboratoires Servier (plus de 10 millions d'euros d'amendes) et des autorités sanitaires. Mais pour ce médecin, le fond de l'affaire a été passé sous silence. Dans une tribune, il met en cause la prescription hors AMM sans données scientifiques solides de médecins mal formés à la thérapeutique. "J'ai entendu les derniers éléments du procès Mediator comme certains acteurs principaux sur les ondes radio et je suis triste. Je dis bien "triste" car un grand balayage était possible et rien de tout cela n'aura lieu. Nous allons simplement aboutir à la condamnation (normale) de Servier et quelques "lampistes" avec des conflits d’intérêts majeurs des autorités. Or, le fond est ailleurs. "Médiocre formation des médecins" Le fond, c'est la prescription hors AMM sans données scientifiques solides. Le point le plus important à considérer est le fait que c’est le labo qui décide s’il va demander une extension d’indication ou pas compte tenu des données disponibles ; mais personne ne peut obliger un labo à faire la demande. C’est pourquoi il peut exister sans problème une prescription hors AMM tout à fait justifiée et qui ne poserait aucun problème devant n’importe quel tribunal car les données sont clairement là. Après, on peut parler des recos de bonnes pratiques pour orienter ; mais elles sont indépendantes de l’AMM dans le sens où le plus souvent, elles proposent une hiérarchisation des choix par rapport à des AMM. On est rarement dans un cadre hors AMM pour les recos. Par ailleurs, il serait trop facile de se réfugier derrière l’absence de recos pour dire qu’il est alors acceptable d’avoir du grand n’importe quoi. Il est vrai que la prescription hors AMM, à condition d’être initiée par des experts, peut enrichir l’AMM ; mais elle ne peut avoir de sens que si des données sont collectées pour savoir où l’on va, sinon c’est du grand n’importe quoi complètement inutile et dangereux puisque l’on ne peut rien construire sur ces expériences. Dans ce sens, la RTU est une bonne chose pour donner un cadre et ne pas laisser n’importe qui faire n’importe quoi. Dans le cas du Mediator, il n’y avait aucune reco, soit, mais aucune donnée de qualité et pas l’once d’une preuve pour un usage autre que celui de l’AMM. Sur quoi était donc basée l’attitude des médecins ?
Le fond c'est la formation des médecins à la thérapeutique. On touche là un autre point qui me choque dans ce procès : ce qui s’est passé est aussi une résultante de cette médiocre formation des médecins. A titre d’anecdote, en 1996, lors de l’inauguration du Centre d’information Thérapeutique Centre Cochrane Français à Lyon, j’ai dit à monsieur le professeur Boissel (à l’époque éminent Professeur de thérapeutique), qui venait de dire qu’il n’était pas possible de faire confiance à l’industrie pharmaceutique : « Vu le niveau de formation des médecins en thérapeutique pourquoi voulez-vous que l’industrie change de discours alors que celui-là marche très bien ? Commencez par améliorer la formation des médecins à la thérapeutique et vous verrez, l’industrie sera bien obligée de changer son discours »… en pratique rien n’a changé. Le fond, c'est le recrutement des experts au niveau des autorités de santé et leur responsabilité. Le fond, c’est cette lenteur pour modifier les choses dans un temps raisonnable. En cancérologie, par exemple, les médicaments sont mis sur le marché sur la base de la survie sans progression (pour aller plus vite face à la problématique du cancer) mais ils conservent l'AMM même quand les données de survie globale arrivent et ne montrent aucun intérêt au médicament. "Passer sous silence le fond" Cette lenteur a été préjudiciable dans le cas du Mediator et ce ne sont pas les lampistes aux conflits d’intérêts qui en sont responsables, c’est une organisation. Ne pas avoir abordé ce problème expose la population française à d’autres crises sanitaires et c’est grave. Malgré tout, et même si la base même de l’utilité des autorités de santé est d’apporter des informations rapidement, cette lenteur ne serait être un moyen pour le corps médical de se dédouaner d’une formation continue et d’une culture scientifique en permanence mise à jour. De tout cela, rien. J'ai le sentiment qu'il y avait une obnubilation à faire condamner Servier pour pouvoir mieux complètement passer sous silence le fond. Comme je l'ai déjà écrit, ce n’est pas la visiteuse médicale de Servier qui tenait le stylo pour signer l’ordonnance d'une prescription délirante à un "fil de fer" ou une personne qui voulait maigrir et maigrir encore. Ce n'est pas Servier qui a organisé le recrutement des experts des autorités de santé qui, comme l’avait dit un journal, se sont fait rouler dans la farine par les experts de Servier. Ce n'est pas Servier qui est responsable de la lenteur des autorités de santé pour réagir à des informations disponibles. Ce n'est pas Servier qui est la source de l'absence de responsabilité des experts des différentes commissions face à des données scientifiques. Ce n'est pas Servier qui est responsable du système de caste des PU-PH qui fait qu'en commissions, certains n'osent rien dire car... c'est: "Je te tiens tu me tiens par la barbi…". Ce n'est pas Servier, ni toute l'industrie pharmaceutique, qui est responsable de la médiocrité de la formation à la thérapeutique des médecins. "Rien ne changera" Ainsi, cette obnubilation a complètement oublié le fond. Je ne dis pas qu'il ne fallait pas condamner Servier mais qu'il fallait aussi s'intéresser à tout ce qui avait permis que cette crise sanitaire existe. Réduire les autorités de santé de santé à un petit groupe d'experts avec des conflits d'intérêts majeurs est particulièrement naïf; ce ne sont pas les quelques lampistes qui faisaient la pluie et le beau temps à eux seuls. Au final, rien ne changera : c’est sûr, certains seront contents de voir Servier condamné mais qu’est-ce qui va changer dans l’organisation de la prise en charge médicamenteuse pour les patients ? Rien et nous aurons d’autres crises sanitaires, c’est sûr. Pourquoi ? Car le fond ne peut pas changer, il n’a pas été évoqué et encore moins condamné. Enfin, pour relativiser les choses et les responsabilités : imaginez une seconde que les médecins français soient bien formés à la thérapeutique…il n’y aurait tout simplement pas eu de crise Mediator."
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